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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/255

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Ainsi chantoit Cymodocée sur un mode pathétique, transmis aux chrétiens par la religion des Hébreux. De temps en temps des trompettes d’airain mêloient leurs gémissements aux plaintes de Jérémie. Quelle éloquence dans ces leçons, redites sur les ruines de Jérusalem, près du temple dont il ne restoit pas pierre sur pierre, et la veille d’une persécution ! La voix émue d’une jeune fille séparée de son père, et tremblant pour les jours de son époux, ajoutoit un charme à ces cantiques. Les prières continuent jusqu’au lever de l’aurore : alors se prépare la procession solennelle qui doit parcourir la Voie douloureuse.

La vraie croie, portée par quatre évêques, confesseurs et martyrs, marche à la tête du troupeau. Allongé sur deux files, un nombreux clergé, en silence et en habits de deuil, suit le signe de la rédemption des hommes. Viennent ensuite les chœurs des vierges et des veuves, les catéchumènes qui doivent entrer dans le sein de l’Église, les pécheurs qui vont être réconciliés. L’évêque de Jérusalem, la tête découverte, une corde au cou en signe d’expiation, termine la pompe. Hélène marche derrière lui, appuyée sur l’épouse du défenseur des chrétiens : la troupe innombrable des fidèles, l’orphelin, l’aveugle, le boiteux, accompagnent, pleins d’espérance, cette croix qui guérit l’infirme et console l’affligé.

On sort par la porte de Bethléem, et tournant au levant, le long de la piscine de Bethsabée, on descend vers le puits de Néphi pour remonter à la fontaine de Siloé. À l’aspect de la vallée de Josaphat remplie de tombeaux, de cette vallée où la trompette de l’ange du jugement doit rassembler les morts, une sainte terreur saisit l’âme des fidèles. La pompe religieuse passe au pied du mont Moria et traverse le torrent de Cédron, qui rouloit une eau fangeuse et rougie ; elle laisse à droite les sépulcres de Josaphat et d’Absalon, et vient prier au jardin des Oliviers, à l’endroit même que le Fils de l’homme arrosa d’une sueur de sang. À chaque station un prêtre explique au peuple, ou le miracle, ou la parole, ou l’action dont ce lieu sacré fut témoin. La porte des Palmes s’ouvre, et la procession rentre dans Jérusalem. Au travers des décombres entassés, elle parvient aux ruines du palais du Prétoire, près de l’enceinte du temple : c’est là que commence le chemin du Calvaire. Le prêtre qui doit parler à la foule ne peut lire l’Évangile, à cause des pleurs qui tombent de ses yeux : à peine on entend sa voix altérée :

« Mes frères, s’écrie-t-il, là s’élevoit la prison où il fut couronné d’épines ! De ce portique en ruine, Pilate le montra aux Juifs en leur disant : « Voilà l’homme ! »