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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/262

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pourpre qui n’est plus pour moi qu’un linceul funèbre : avec lui je vous fais le présent de tous les soucis du trône. Gouvernez un monde qui se dissout, où mille principes de mort germent de tous les côtés ; guérissez des mœurs corrompues ; accordez des religions qui se combattent ; faites disparoître un esprit de sophisme qui ronge jusqu’aux entrailles de la société ; repoussez dans leurs forêts des barbares qui tôt ou tard dévoreront l’empire romain. Je pars : je vous verrai, de mon jardin de Salone, devenir l’exécration de l’univers. Vous-même, fils ingrat, vous ne mourrez point sans être la victime de l’ingratitude de vos fils. Régnez donc ; hâtez la fin de cet État dont j’ai retardé la chute de quelques instants. Vous êtes de la race de ces princes qui paroissent sur la terre à l’époque des grandes révolutions, lorsque les familles et les royaumes se perdent par la volonté des dieux. »

Ainsi le sort de l’empire se décidoit dans le palais de Dioclétien : les chrétiens délibéroient entre eux sur les tribulations de l’Église. Eudore étoit l’âme de tous leurs conseils. L’édit, publié au son des trompettes, ordonnoit de brûler les livres saints et d’abattre les églises ; il déclaroit les chrétiens infâmes ; il les privoit des droits de citoyen ; il défendoit aux magistrats de recevoir leurs plaintes pour cause de mauvais traitements, de vol, de rapt et d’adultère ; il autorisoit toutes sortes de personnes à les dénoncer, soumettoit aux tortures et condamnoit à la mort quiconque refusoit de sacrifier aux dieux.

Cet édit sanguinaire, dicté par Hiéroclès, laissoit un libre cours aux crimes du disciple des sages, et menaçoit les fidèles d’une entière destruction. Chacun, selon son caractère, se préparoit à fuir ou a combattre.

Ceux qui craignoient de succomber dans les tourments s’exiloient chez les barbares ; plusieurs se retiroiont dans les bois et les lieux déserts ; on voyoit les fidèles s’embrasser dans les rues, et se dire un tendre adieu en se félicitant de souffrir pour Jésus-Christ. De vénérables confesseurs, échappés aux persécutions précédentes, se mêloient à la foule pour encourager la foiblesse ou modérer l’ardeur du zèle. Les femmes, les enfants et les jeunes hommes entouroient les vieillards qui rappeloient les exemples donnés par les plus fameux martyrs : Laurent de l’Église romaine, exposé sur des charbons ardents ; Vincent de Saragosse, s’entretenant dans la prison avec les anges ; Eulalie de Mérida, Pélagie d’Antioche, dont la mère et les sœurs se noyèrent en se tenant embrassées ; Félicité et Perpétue combattant dans l’amphithéâtre de Carthage ; Théodote et les sept vierges d’Ancyre ; les deux jeunes époux ensevelis dans des tombes différentes, et qui se trouvèrent réunis dans le même cercueil. Ainsi parloient les vieillards ; et