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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/263

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les évêques cachoient les livres saints ; et les prêtres renfermoient le viatique dans des boîtes à double fond ; on rouvroit les catacombes les plus solitaires et les plus ignorées, afin de remplacer les églises dont on alloit être privé ; on nommoit les diacres qui dévoient se déguiser pour porter des secours aux martyrs au fond des mines, dans les prisons et sur le chevalet ; on apprêtoit le lin et le baume comme à la veille d’un grand combat ; on payoit ses dettes, on se réconcilioit avec ses ennemis. Toutes ces choses se faisoient sans bruit, sans ostentation, sans tumulte ; l’Église se préparoit à souffrir avec simplicité ; comme la fille de Jephté, elle ne demandoit à son père qu’un moment pour pleurer son sacrifice sur la montagne.

Les soldats chrétiens répandus dans les légions viennent avertir Eudore qu’un nouveau complot est près d’éclater, que l’on fait au nom de Galérius des largesses à l’armée, que les troupes doivent s’assembler le lendemain au Champ de Mars, et que l’on parle de l’abdication de l’empereur.

Le fils de Lasthénès se fait mieux instruire : ensuite il vole à Tibur, demeure accoutumée de Constantin. Ce prince habitoit, loin des pièges de la cour, une petite retraite au-dessus de la cascade de l’Anio, tout auprès des temples de Vesta et de la Sibylle. Les maisons d’Horace et de Properce se montroient abandonnées sur les bords du fleuve, parmi des bois d’oliviers devenus sauvages. Le riant Tibur, qui tant de fois inspira la muse latine, n’offroit plus que des monuments de plaisirs détruits et des tombeaux de tous les siècles. En vain l’on cherchoit sur les coteaux de Lucrétile le souvenir du poëte voluptueux qui renfermoit dans un espace étroit ses longues espérances, et consacroit du vin et des fleurs au génie qui nous rappelle la brièveté de nos jours.

Tout à coup, au milieu de la nuit, on annonce à Constantin l’arrivée d’Eudore ; le prince se lève, prend son ami par la main et le conduit sur une terrasse qui, circulant au pied du temple de Vesta, dominoit la chute de l’Anio. Le ciel étoit couvert de nuages, l’obscurité profonde ; le vent gémissoit dans les colonnes du temple, une voix triste s’élevoit dans l’air ; on croyoit entendre par intervalles le mugissement de l’antre de la sibylle, ou ces paroles funèbres que les chrétiens psalmodient pour les morts.

« Fils de César, dit Eudore, non-seulement on va massacrer les chrétiens, mais Dioclétien remet le sceptre à Galérius. C’est demain, au Champ de Mars, en présence des légions, que se passera cette grande scène. Vous ne serez point appelé au partage de la puissance ; vos crimes sont votre gloire, celle de votre père, et votre penchant pour