Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/264

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une religion divine. Daïa, ce pâtre, fils de la sœur de Galérius, et Sévère le soldat, tels sont les césars que l’on réserve au peuple romain. Dioclétien désiroit vous nommer, mais vous avez été rejeté avec menace. Prince, cher espoir de l’Église et du monde, il faut céder à l’orage. Galérius vous craint, et il en veut à vos jours. Demain, aussitôt que votre sort sera connu, vous fuirez vers votre père, tout sera préparé pour votre départ. Vous aurez soin, à chaque mansion, de faire mutiler les chevaux derrière vous, afin qu’on ne puisse vous poursuivre. Vous attendrez auprès de Constance le moment de sauver les chrétiens et l’empire, et quand il en sera temps, ces Gaulois qui ont déjà vu de près le Capitole vous en ouvriront le chemin. »

Constantin reste un moment en silence : mille pensées violentes s’élèvent dans son cœur. Indigné des outrages qu’on lui prépare, animé de l’espoir de venger le sang des justes, peut-être touché de l’éclat d’un trône, qui tente toujours les grandes âmes, il ne se peut résoudre à la fuite ; son respect, sa reconnoissance pour Dioclétien, arrêtoient seuls son ardeur ; la nouvelle de l’abdication de ce prince a brisé tous les liens qui retenoient le fils de Constance : il veut aller soulever les légions au Champ de Mars ; il ne respire que la vengeance et les combats. Tel, dans les déserts de l’Arabie, on voit un coursier attaché au milieu d’un sable brûlant ; pour trouver un peu d’ombre contre les ardeurs du soleil, il baisse et cache sa tête entre ses jambes rapides ; ses crins descendent épars ; il laisse tomber de son œil sauvage un regard oblique sur son maître. Mais ses pieds sont-il dégagés des entraves, il frémit, il dévore la terre ; la trompette sonne, il dit : « Allons ! »

Eudore calme les transports guerriers de Constantin.

« Les légions sont vendues, lui dit-il, tous vos pas sont surveillés, et vous tenteriez une entreprise qui précipiteroit l’empire dans des maux incalculables. Fils de Constance, vous régnerez un jour sur le monde et les hommes vous devront leur bonheur ; mais Dieu retient encore entre ses mains votre couronne, et il vient éprouver son Église. »

« Eh bien ! dit le jeune prince avec une touchante vivacité, vous m’accompagnerez dans les Gaules, et nous marcherons ensemble à Rome, à la tête de ces soldats tant de fois témoins de votre valeur. »

« Prince, répond Eudore d’une voix émue, nos obligations ne sont pas les mêmes : vous vous devez à la terre pour le ciel, je me dois au ciel pour la terre ; votre devoir est de partir, le mien de rester. La jalousie que j’ai inspirée à Hiéroclès a sans doute précipité le sort des chrétiens : ma fortune, mes conseils, ma vie leur appartiennent ; je ne puis quitter un champ de bataille où j’ai appelé l’ennemi ; mon épouse