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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/266

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changé avec la fortune. Un officier de Galérius refusa l’entrée du palais au jeune prince, en lui disant d’une voix menaçante :

« L’empereur vous ordonne de vous rendre au camp des légions. »

À l’extrémité du Champ de Mars, au pied du tombeau d’Octave, s’élevoit un tribunal de gazon surmonté d’une colonne qui portoit une statue de Jupiter. C’étoit à ce tribunal que Dioclétien devoit paroître au lever de l’aurore, pour abdiquer la pourpre au milieu des soldats sous les armes. Depuis le jour où Sylla se dépouilla de la dictature, jamais plus grand spectacle n’avoit frappé les regards des Romains. La curiosité, la crainte, l’espoir, avoient conduit au Champ de Mars une foule immense. Toutes les passions, émues à l’approche du règne nouveau, attendoient l’issue de cette scène extraordinaire. Quels seront les augustes ? quels seront les césars ? Les courtisans dressoient au hasard des autels aux dieux inconnus ; ils auroient craint de blesser, même en pensée, le pouvoir qui n’existoit pas encore. Ils adoroient le néant d’où la servitude alloit sortir ; ils s’épuisoient à deviner quelle seroit la passion du prince à venir, afin de se pourvoir promptement de la bassesse qui seroit le plus en faveur sous ce règne. Tandis que les méchants pensoient à montrer leurs vices, les bons songeoient à cacher leurs vertus. Le peuple seul, avec une indifférence stupide, venoit voir les soldats étrangers lui nommer des maîtres, aux mêmes lieux où ce peuple libre donnoit jadis son suffrage pour l’élection de ses magistrats.

Dioclétien parut bientôt au tribunal. Les légions firent silence, et l’empereur prenant la parole :

« Soldats, mon âge m’oblige de remettre le pouvoir souverain à Galérius et de créer de nouveaux césars. »

À ces mots tous les yeux se tournent vers Constantin, qui venoit d’arriver. Mais tout à coup Dioclétien proclame césars Daïa et Sévère. On demeure interdit ; on se demande quel est ce Daïa et si Constantin a changé de nom. Alors Galérius, repoussant de la main le fils de Constance, saisit Daïa par le bras, et le présente aux légions. L’empereur se dépouille de son manteau de pourpre, et le jette sur les épaules du jeune pâtre. Il donne en même temps à Galérius son poignard, symbole de la puissance absolue sur la vie des citoyens.

Dioclétien, redevenu Dioclès, descend de son tribunal, monte sur son char, traverse Rome sans proférer un mot, sans regarder son palais, sans tourner la tête ; et, prenant le chemin de Salone sa patrie, il laisse l’univers entre l’admiration du règne qui finit et la terreur qui commence.

Tandis que les soldats saluoient le nouvel auguste et le nouveau