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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/267

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césar, Eudore se glisse dans la foule, et parvient jusqu’à Constantin. Ce prince flottoit encore indécis entre l’étonnement, l’indignation et la douleur.

« Fils de Constance, lui dit Eudore à voix basse, que faites-vous ? Vous connoissez votre sort ; le tribun des prétoriens a déjà l’ordre de vous arrêter : suivez-moi, ou vous êtes perdu. »

Il entraîne l’héritier de l’empire ; ils arrivent hors des portes de Rome, en un lieu désert, où Constantin bâtit depuis la basilique de Sainte-Croix.

Là, quelques serviteurs attendoient le prince fugitif ; il veut encore, en fondant en larmes, engager Eudore à se sauver avec lui, mais le martyr en espérance demeure inflexible, et supplie le fils d’Hélène de s’éloigner. Déjà l’on entendoit le bruit des soldats qui cherchoient Constantin. Eudore adresse cette prière à l’Éternel :

« Grand Dieu, si tu réserves ce prince pour régner sur ton peuple, force ce nouveau David à se cacher devant Saül, et daigne lui montrer le chemin du désert de Zéila ! »

Aussitôt le tonnerre gronde sous un ciel serein, la foudre frappe les remparts de Rome, un ange trace une voie lumineuse dans l’occident.

Constantin obéit aux ordres du ciel : il embrasse son ami, et s’élance sur son coursier. Il fuit ; Eudore lui crie :

« Souvenez-vous de moi quand je ne serai plus ! Prince, servez de protecteur et de père à Cymodocée ! »

Vœux inutiles ! Constantin disparoît. Eudore, abandonné, sans protecteur, reste seul chargé de la colère de l’empereur, de la haine d’un rival, devenu premier ministre, de la destinée des fidèles, et pour ainsi dire de tout le poids de la persécution. Dès le soir même, dénoncé comme chrétien par un esclave d’Hiéroclès, il est plongé dans les cachots.

Satan, Astarté, l’esprit de la fausse sagesse, poussent tous trois un cri de triomphe dans les airs, et livrent le monde au démon de l’homicide.

Lorsque cet ange furieux, quittant le séjour des douleurs, contriste la terre par sa présence, il fait sa résidence ordinaire non loin de Carthage, dans les ruines d’un temple où l’on brûloit jadis en son honneur des victimes humaines. Des hydres aux regards funestes, des dragons semblables à celui qui combattit l’armée entière de Caton, des monstres inconnus tels que l’Afrique en engendre chaque année, les fléaux de l’Égypte, les vents empoisonnés, les maladies, les guerres civiles, les lois injustes qui dépeuplent la terre, la tyrannie qui la ravage, rampent aux pieds du démon de l’homicide. Il se réveille au cri de Satan ; il s’envole du milieu des débris, en hissant après lui un