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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/268

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long tourbillon de poussière ; il franchit la mer : il arrive en Italie. Enveloppé dans un nuage ardent, il s’arrête au-dessus de Rome. D’une main il élève une torche et de l’autre un glaive : tel autrefois il donna le signal du carnage, lorsque le premier Hérode fit massacrer les enfants d’Israël.

Ah ! si la Muse sainte soutenoit mon génie, si elle m’accordoit un moment léchant du cygne ou la langue dorée du poëte, qu’il me seroit aisé de redire dans un touchant langage les malheurs de la persécution ! Je me souviendrois de ma patrie : en peignant les maux des Romains, je peindrois les maux des François. Salut, épouse de Jésus-Christ, Église affligée, mais triomphante ! Et nous aussi, nous vous avons vue sur l’échafaud et dans les catacombes. Mais c’est en vain qu’on vous tourmente, les portes de l’enfer ne prévaudront point contre VOUS ; dans vos plus grandes douleurs, vous apercevez toujours sur la montagne les pieds de celui qui vient vous annoncer la paix ; vous n’avez pas besoin de la lumière du soleil, parce que c’est la lumière de Dieu qui vous éclaire : c’est pourquoi vous brillez dans les cachots. La beauté du Basan et du Carmel s’efface, les fleurs du Liban se flétrissent ; vous seule restez toujours belle !

La persécution s’étend dans un moment des bords du Tibre aux extrémités de l’empire. De toutes parts on entend les églises s’écrouler sous les mains des soldats ; les magistrats, dispersés dans les temples et dans les tribunaux, forcent la multitude à sacrifier ; quiconque refuse d’adorer les dieux est jugé et livré aux bourreaux ; les prisons regorgent de victimes ; les chemins sont couverts de troupeaux d’hommes mutilés, qu’on envoie mourir au fond des mines ou des travaux publics. Les fouets, les chevalets, les ongles de fer, la croix, les bêtes féroces, déchirent les tendres enfants avec leur mère ; ici l’on suspend par le pied des femmes nues à des poteaux, et on les laisse expirer dans ce supplice honteux et cruel ; là on attache les membres du martyr à deux arbres rapproches de force : les arbres en se redressant emportent les lambeaux de la victime. Chaque province a son supplice particulier ; le feu lent en Mésopotamie, la roue dans le Pont, la hache en Arabie, le plomb fondu en Cappadoce. Souvent au milieu des tourments on apaise la soif du confesseur, et on lui jette de l’eau au visage, dans la crainte que l’ardeur de la fièvre ne hâte sa mort. Quelquefois, fatigué de brûler séparément les fidèles, on les précipite en foule dans le bûcher : leurs os sont réduits en poudre et jetés au vent avec leurs cendres.

Galérius trouvoit ses délices dans ces tourments ; il fait venir à grands frais des ours d’une taille prodigieuse et aussi féroces que lui.