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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/269

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Ces bêtes ont chacune un nom terrible. Pendant ses repas, le successeur du sage Dioclétien leur fait jeter des hommes à dévorer. Le gouvernement de ce monstre avare et débauché, en répandant le trouble dans les provinces, augmente encore l’activité de la persécution. Les villes sont soumises à des juges militaires, sans connoissances et sans lettres, qui ne savent que donner la mort. Des commissaires font les recherches les plus rigoureuses sur les biens et les propriétés des sujets : on mesure les terres, on compte les vignes et les arbres, on tient registre des troupeaux. Tous les citoyens de l’empire sont obligés de s’inscrire dans le livre du cens, devenu un livre de proscription. De crainte qu’on ne dérobe quelque partie de sa fortune à l’avidité de l’empereur, on force, par la violence des supplices, les enfants à déposer contre leurs pères, les esclaves contre leurs maîtres, les femmes contre leurs maris. Souvent les bourreaux contraignent des malheureux à s’accuser eux-mêmes et à s’attribuer des richesses qu’ils n’ont pas. Ni la caducité ni la maladie ne sont une excuse pour se dispenser de se rendre aux ordres de l’exacteur ; on fait comparoître la douleur même et l’infirmité ; afin d’envelopper tout le monde dans des lois tyranniques, on ajoute des années à l’enfance, on en retranche à la vieillesse : la mort d’un homme n’ôte rien au trésor de Galérius, et l’empereur partage la proie avec le tombeau : cet homme rayé du nombre des humains n’est point effacé du rôle du cens, et il continue de payer pour avoir eu le malheur de vivre. Les pauvres, de qui l’on ne pouvoit rien exiger, sembloient seuls à l’abri des violences par leur propre misère ; mais ils ne sont point à l’abri de la pitié dérisoire du tyran : Galérius les fait entasser dans des barques, et jeter ensuite au fond de la mer, afin de les guérir de leurs maux.

Il ne manquoit aux chrétiens qu’un genre d’outrages, et Hiéroclès ne voulut pas le leur épargner. Au milieu des prêtres égorgés sur le corps de Jésus-Christ percé de coups, le disciple des sages publia généreusement deux livres de blasphèmes contre le Dieu qu’il avoit lui-même adoré, et qui fut le Dieu de sa mère : tant l’orgueil de l’impie est à la fois lâche et féroce ! Infatigable dans sa haine et dans son amour, l’apostat attendoit avec impatience le moment où la fille d’Homère viendroit orner son triomphe. Il suspendoit exprès le supplice de son rival, afin que l’espoir de sauver la vie de ce rival aimé fût une tentation pour la vierge de Messénie.

« J’emploierai, disoit-il en lui-même avec un mélange de honte, de désespoir et de joie, j’emploierai ce dernier moyen de vaincre la résistance d’une insolente beauté ; je la verrai tomber dans mes bras pour racheter les jours d’Eudore ; comblant ensuite ma double ven-