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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/270

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geance, je lui montrerai mon rival entre les mains des bourreaux, et ce chrétien apprendra en mourant que son épouse est déshonorée. »

Enivré de son pouvoir, Hiéroclès ne peut gouverner ses passions. Cet impie qui renioit l’Éternel, par une contradiction déplorable, croyoit au génie du mal et à tous les secrets de la magie.

Il y avoit à Rome un Hébreu déserteur de la foi de ses pères : il vivoit parmi les sépulcres, et la voix du peuple l’accusoit d’entretenir un commerce secret avec l’enfer. Cet homme faisoit sa demeure accoutumée dans les souterrains du palais en ruine de Néron. Hiéroclès charge un de ses confidents d’aller trouver au milieu de la nuit l’infâme Israélite. L’esclave, instruit de ce qu’il doit demander, part, et à travers des décombres descend au fond du souterrain. Il aperçoit un vieillard couvert de lambeaux, réchauffant ses mains à un feu d’ossements humains.

« Vieillard, dit l’esclave tremblant d’épouvante, peux-tu transporter dans un moment de Jérusalem à Rome une chrétienne échappée au pouvoir d’Hiéroclès ? Reçois cet or, et parle sans crainte. »

L’éclat de l’or et le nom de Jérusalem arrachent un sourire affreux à l’Israélite.

« Mon fils, dit-il, je connois ton maître : il n’y a rien que je ne tente pour le satisfaire ; je vais interroger l’abîme. »

Il dit, et creuse la terre, il découvre l’urne sanglante qui renfermoit les restes de Néron ; des plaintes s’échappoient de cette urne. Le magicien répand sur un autel de fer les cendres du premier persécuteur des chrétiens. Trois fois il se tourne vers l’Orient, trois fois il frappe dans ses mains, trois fois il ouvre la Bible profanée. Il prononce des mots mystérieux, et du sein des ombres il évoque le démon des tyrans. Dieu permet à l’enfer de répondre ; le feu qui brûloit la dépouille des morts s’éteint ; la terre tremble ; la frayeur pénètre jusqu’aux os de l’esclave ; le poil de sa chair se hérisse : un esprit se présente devant lui ; il voit quelqu’un dont il ne connoît pas le visage ; il entend une voix foible comme un petit souffle.

« Pourquoi, dit l’Hébreu, as-tu tardé si longtemps à venir ? Dis-moi, peux-tu transporter de Jérusalem à Rome une chrétienne échappée à son maître ? »

« Je ne le puis, répondit l’esprit de ténèbres : Marie défend cette chrétienne contre ma puissance ; mais, si tu le veux, je porterai dans un instant en Syrie l’édit de la persécution et les ordres d’Hiéroclès. »

L’esclave accepte la proposition de l’enfer, et se hâte d’aller rendre compte de son message à l’impatient Hiéroclès. Transformé en messager rapide, l’esprit de ténèbres descend à Jérusalem, chez le centu-