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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/271

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rion qui devoit réclamer Cymodocée. Il le presse, au nom du ministre de Galérius, de remplir promptement sa mission, et il remet l’édit fatal au gouverneur de la cité de David : aussitôt les portes des saints lieux sont fermées, et les soldats dispersent les fidèles. En vain l’épouse de Constance veut protéger les chrétiens ; Constantin fugitif, Galérius triomphant, changent en un moment la fortune d’Hélène : pour les souverains, la prospérité est mère de l’obéissance ; le malheur des rois délie les sujets du serment de fidélité.

C’étoit l’heure où le sommeil fermoit les yeux des mortels ; l’oiseau reposoit dans son nid, et le troupeau dans la vallée ; les travaux étoient suspendus ; à peine la mère de famille tournoit encore ses fuseaux près des feux assoupis de son humble foyer : Cymodocée, après avoir longtemps prié pour son époux et pour son père, s’étoit endormie. Démodocus lui apparoît au milieu d’un songe. Sa barbe étoit négligée ; de larges pleurs tomboient de ses yeux ; il agitoit lentement son sceptre augural, et de profonds soupirs échappoient de sa poitrine. Cymodocée croyoit lui adresser ces paroles :

« Ô mon père, comment as-tu si longtemps abandonné ta fille ! Où est Eudore ? Vient-il réclamer la foi jurée ? Pourquoi ces pleurs qui baignent ton visage ? Ne veux-tu pas presser ta Cymodocée sur ton cœur ? »

Le fantôme :

« Fuis, ma fille, fuis ! Les flammes t’environnent ; Hiéroclès te poursuit. Les dieux que tu as abandonnés te livrent à sa puissance. Ton nouveau Dieu triomphera ; mais que de larmes il fera verser à ton père ! »

Le spectre s’évanouit, et emporte le flambeau que Cymodocée reçut à l’autel le jour de son union avec Eudore : Cymodocée se réveille. La lueur d’un incendie rougissoit les murs de son appartement et les voiles de son lit. Elle se lève ; elle aperçoit l’église du Saint-Sépulcre embrasée. Les flammes, parmi des tourbillons de fumée, montoient jusqu’au ciel, et réfléchissoient une lumière sanglante sur les ruines de Jérusalem et les montagnes de la Judée.

Depuis que la nouvelle de la persécution s’étoit répandue en Syrie, Cymodocée n’avoit plus quitté la princesse Hélène ; renfermée dans un oratoire, avec les autres femmes chrétiennes, elle soupiroit les malheurs de la nouvelle Sion. Le ministre d’Hiéroclès, désespérant de rencontrer la jeune catéchumène, et n’osant, par un reste de respect, violer l’asile de l’épouse d’un césar, avoit mis le feu au Saint-Sépulcre. Le palais d’Hélène touchoit à l’édifice sacré ; le centurion espéroit forcer ainsi Cymodocée à sortir de son inviolable asile, et il l’attendoit avec des soldats pour la saisir au milieu du tumulte.