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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/272

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Dorothée voit démêlé ces complots ; il s’ouvre un passage à travers les murs croulants et les poutres embrasées qui tombent de toutes parts, il pénètre dans le palais d’Hélène. Déjà les galeries étoient désertes, seulement quelques femmes éperdues étoient rassemblées dans une cour intérieure, autour d’un autel des rois de Juda. Il rencontre Cymodocée, qui cherchoit vainement sa nourrice : elle ne devoit plus la revoir. Euryméduse, votre sort est resté inconnu.

« Fuyons, dit Dorothée à la fille de Démodocus, Hélène même ne vous pourroit sauver ; vos ennemis vous arracheroient de ses bras ; je connois une porte secrète, et un souterrain qui nous conduira hors des murs de Jérusalem : la Providence fera le reste. »

À l’extrémité du palais, du côté de la montagne de Sion, s’ouvroit une porte cachée qui conduisoit au Calvaire : c’étoit par là qu’Hélène se déroboit aux hommages des peuples lorsqu’elle alloit prier aux pieds de la croix. Dorothée, suivi de Cymodocée, entr’ouvre doucement cette porte ; il avance la tête, et n’aperçoit rien au dehors. Il prend la main de Cymodocée : ils sortent du palais. Tantôt ils se glissent lentement au travers des ruines, tantôt ils précipitent leurs pas dans des lieux moins embarrassés ; quelquefois ils entendent marcher sur leurs traces, et ils se cachent parmi des débris, quelquefois ils sont arrêtés par l’éclat des armes d’un soldat qui rôde au milieu des ténèbres. Le bruit de l’incendie et les clameurs confuses de la foule s’élèvent au loin derrière eux ; ils franchissent la vallée déserte qui sépare la colline du Calvaire de la montagne de Sion.

Dans les flancs de cette montagne s’ouvroit une route inconnue : l’entrée en étoit fermée par des buissons d’aloès et des racines d’oliviers sauvages. Dorothée écarte ces obstacles, et pénètre dans le souterrain : il frappe les veines d’un caillou, allume une branche de cyprès, et à la clarté de cette torche il s’enfonce sous des voûtes ténébreuses avec Cymodocée. David avoit jadis pleuré son péché dans ces lieux : de toutes parts on voyoit sur les murs des vers écrits de la main du monarque pénitent, lorsqu’il versa ses larmes immortelles. Sa tombe occupoit le milieu du souterrain, et portoit encore gravées sur sa base une houlette, une harpe et une couronne. La terreur du présent, les souvenirs du passé, cette montagne dont le sommet vit le sacrifice d’Abraham et dont les flancs gardent le cercueil du roi-prophète, tout agitoit le cœur des deux chrétiens ; ils sortent bientôt de ces détours, et se trouvent au milieu des montagnes, dans le chemin de Bethléem ; ils traversent les champs silencieux de Rama, où Rachel ne voulut point être consolée, et viennent se reposer au berceau du Messie.