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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/273

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Bethléem étoit entièrement désert : les chrétiens avoient été dispersés. Cymodocée et son guide entrent dans la Crèche : ils admirent cette grotte où le Roi des cieux voulut naître, où les anges, les bergers et les mages le vinrent adorer, où toute la terre doit un jour apporter ses hommages. Des offrandes, laissées dans ce lieu par les pasteurs de la Judée, nourrirent abondamment les deux infortunés. Cymodocée versoit des larmes de tendresse. Les miracles du berceau de Jésus parloient à son cœur.

« C’est donc là, disoît-elle, que l’Enfant divin a souri à sa divine Mère ! Marie, protégez Cymodocée ! Comme vous, elle est fugitive à Bethléem ! »

La fille de Démodocus remercioit ensuite le généreux Dorothée, qui s’exposoit pour elle à tant de fatigues et de périls.

« Je suis un vieux chrétien, répondit l’homme éprouvé : les tribulations font ma joie. »

Dorothée se prosternoit devant la crèche.

« Père des miséricordes, disoit-il, prenez pitié de nous, et souvenez-vous que votre Fils offrit en ces lieux ses premiers pleurs pour le salut des hommes ! »

Le soleil approche de la fin de son cours. Dorothée sort avec la fille de Démodocus, dans l’espoir de rencontrer quelque berger ; il aperçoit un homme qui descendoit de la montagne d’Engaddi : une ceinture de joncs étoit nouée autour de ses reins ; sa barbe et ses cheveux croissoient en désordre ; ses épaules étoient chargées d’une corbeille pleine de sable qu’il portoit péniblement à l’entrée d’une grotte. Aussitôt qu’il découvre les voyageurs, il jette son fardeau, et fixant sur eux des regards indignés :

« Délices de Rome, s’écrie-t-il, venez-vous me troubler jusque dans le désert ? Évanouissez-vous ! Armé de la pénitence, je découvre vos pièges et je me ris de vos efforts. »

Il dit, et, comme l’aigle marin qui plonge au fond des eaux, il s’élance dans la grotte. Dorothée reconnoît un chrétien ; il s’avance et parle à travers l’ouverture du rocher :

« Nous sommes des chrétiens fugitifs : daignez nous donner l’hospitalité. »

« Non, non, s’écrie le solitaire, cette femme est trop belle pour être une simple fille des hommes. »

« Cette femme, reprit Dorothée, est une catéchumène qui fait l’apprentissage des pleurs que Jésus-Christ demande à ses servantes. Elle est Grecque, elle se nomme Cymodocée : elle est fiancée à Eudore, défenseur des chrétiens, dont le nom sera peut-être parvenu jusqu’à vous ; je suis Dorothée, premier officier de Dioclétien. »