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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/274

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Le solitaire s’élance hors de la grotte comme un athlète qui, le front ceint d’une couronne d’olivier, paroît tout à coup aux jeux d’Olympie.

« Entrez dans ma grotte, s’écrie-t-il, épouse de mon ami ! »

Le solitaire se nomme. Cymodocée reconnoît cet ami d’Eudore qui s’entretenoit avec lui au tombeau de Scipion. Dorothée, qui avoit connu Jérôme à la cour, contemple avec étonnement cet anachorète, exténué de veilles et d’austérités, jadis brillant disciple d’Épicure. Il le suit au fond de son antre ; on n’y voyoit que la Bible, une tête de mort et quelques feuilles éparses de la tradition des Livres saints. Bientôt tout est éclairci entre les deux chrétiens et la jeune pèlerine. Mille souvenirs les attendrissent, mille histoires touchantes font couler leurs pleurs : ainsi des ruisseaux, descendus de diverses montagnes, mêlent leurs eaux dans une même vallée.

« Mes erreurs, dit Jérôme, ont amené ma pénitence, et désormais je ne sortirai plus de Bethléem. Le berceau du Sauveur sera ma tombe. »

L’anachorète demande ensuite à Dorothée ce qu’il veut faire.

« J’irai, répond Dorothée, chercher quelques amis à Joppé… »

« Quoi ! dit Jérôme en l’interrompant, vous êtes malheureux, et vous comptez sur des amis ! Un Moabite descend de ses rochers pour aller à Jéricho. C’étoit au printemps ; l’air étoit frais et serein. Le Moabite n’étoit point altéré : il trouve des torrents pleins d’eau à chaque pas. Il revient chez lui dans la saison des orages, sous les feux dévorants de l’été : la soif consume le Moabite ; il cherche quelques gouttes de cette eau qu’il avoit vue dans les montagnes : tous les torrents sont desséchés ! »

Jérôme demeure quelque temps en silence, ensuite il s’écrie :

« Ô grande destinée ! Eudore, tu es donc le défenseur des chrétiens ! Ô mon ami ! que pourrois-je faire pour toi ? »

Tout à coup le solitaire se lève, frappé d’une lumière surnaturelle :

« Qu’est-ce que ces craintes ? s’écrie-t-il. Femme, tu aimes et tu fuis ! Ton époux peut-être dans ce moment confesse la foi, et tu n’es pas là pour lui disputer la gloire du bûcher ! Crois-tu que quand il sera monté au rang des martyrs, il te veuille recevoir sans couronne ? Roi, il ne pourra prendre qu’une reine à ses côtés ! Fais ton devoir, marche à Rome, va réclamer ton époux, va cueillir la palme qui doit orner ta pompe nuptiale… Mais, que dis-je ! tu n’es pas encore au nombre des brebis choisies. »

Le solitaire s’interrompt de nouveau ; il hésite, et bientôt il s’écrie :

« Tu seras chrétienne : ma main versera sur ton front l’eau salutaire. Le Jourdain est près d’ici : viens recevoir dans ses eaux la force