Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/275

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui le manque : tes jours sont exposés, il te faut mettre à l’abri de la mort. Oui, tu es assez instruite. La persécution est la doctrine : quiconque pleure pour Jésus-Christ n’a plus rien à savoir. »

Ainsi parle Jérôme avec l’autorité d’un docteur et d’un prêtre. La douce et timide Cymodocée répond :

« Seigneur, qu’il soit fait selon votre parole : donnez-moi le baptême. Je ne serai point une reine auprès de mon époux, je ne serai que sa servante. Si je regrette quelque chose dans la vie, ce sera de ne plus aller sur le mont Ithome voir les troupeaux avec mon père, de ne pouvoir nourrir l’auteur de mes jours dans sa vieillesse, comme il me nourrit dans mon enfance. »

Cymodocée rougit et pleura en parlant de la sorte. On reconnoissoit dans son langage les accents confus de son ancienne religion et de sa religion nouvelle : ainsi, dans le calme d’une nuit pure, deux harpes, suspendues au souille d’Éole, mêlent leurs plaintes fugitives : ainsi frémissent ensemble deux lyres dont l’une laisse échapper les tons graves du mode dorien, et l’autre les accords voluptueux de la molle Ionie ; ainsi, dans les savanes de la Floride, deux cigognes argentées, agitant de concert leurs ailes sonores, font entendre un doux bruit au haut du ciel ; assis au bord de la forêt, l’Indien prête l’oreille aux sons répandus dans les airs et croit reconnoître dans cette harmonie la voix des âmes de ses pères.


fin du livre dix-huitième.