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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/294

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faire partir un messager, et le ministre de l’empereur disposera de votre sort. »

Hiéroclès exerçoit alors sur le monde romain un pouvoir absolu, mais il étoit plongé dans de vives inquiétudes. Publius, préfet de Rome, commençoit à l’emporter sur lui dans la faveur de Galérius. Le rival d’Hiéroclès le traversoit dans tous ses projets. Las d’attendre le retour de Cymodocée, le persécuteur vouloit-il livrer Eudore aux tourments, Publius trouvoit quelque moyen de retarder le sacrifice, Hiéroclès, fidèle à ses premiers desseins, reculoit-il le jugement du fils de Lasthénès, Publius disoit à l’empereur :

« Pourquoi le ministre de votre Éternité n’abandonne-t-il pas au glaive le dangereux chef des rebelles ? »

Le silence de l’Orient sur la fille d’Homère alarmoit aussi le coupable amour du persécuteur. Dans son impatience, il avoit placé des sentinelles à tous les ports de l’Italie et de la Sicile. De nombreux courriers lui apportoient nuit et jour des nouvelles du rivage. Ce fut au milieu de ces perplexités qu’il reçut le messager de Tarente. Au nom de Cymodocée, il pousse un cri de joie, et se précipite de son lit : tel le chantre d’Ilion peint le monarque du Tartare s’élançant de son trône. Les lèvres tremblantes, les yeux égarés d’amour et de joie :

« Qu’on amène en ma présence, s’écrie-t-il, mon esclave messénienne ! Mon bonheur me la renvoie. »

En même temps il ordonne de rendre la liberté à l’officier du palais de Dioclétien.

Dorothée avoit à Rome de nombreux partisans et de zélés protecteurs, même parmi les païens. Cet homme juste ne s’étoit jamais servi de sa fortune et de son pouvoir que pour prévenir les violences et protéger l’innocent, il recueilloit en ce moment le fruit de ses vertus, et l’opinion publique lui servoit de défense contre un ministre pervers. La rencontre de ce chrétien puissant et de Cymodocée parut à Hiéroclès un effet du hasard ; il ne voulut point s’attirer de nouveaux ennemis, lorsqu’il avoit déjà Publius à combattre. L’apostat sentoit intérieurement que les haines publiques s’amonceloient sur sa tête : c’est ainsi que, dans la crainte de soulever le peuple en faveur d’un vieux prêtre des dieux, il avoit laissé Démodocus errer obstinément au milieu de Rome. Dieu commençoit à aveugler le méchant. Au lieu de marcher droit à son but, il s’embarrassoit dans des prévoyances humaines ; et à force de politique, de finesse et de calcul, il venoit tomber dans les pièges qu’il prétendoit éviter. Hiéroclès aux yeux de la foule paroissoit encore tout-puissant, mais un œil exercé voyoit en lui des signes de dépérissement et de décadence : tel s’élève un chêne