Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/295

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont la tête touche au ciel, dont les racines descendent aux enfers ; il semble braver les hivers, les vents et la foudre ; le voyageur, assis à ses pieds, admire ses inébranlables rameaux, qui ont vu passer les générations des mortels ; mais le pâtre qui contemple le roi des forêts du haut de la colline le voit élever au-dessus de son feuillage verdoyant une couronne desséchée.

Sur une colline qui dominoit l’amphithéâtre de Vespasien, Titus avoit bâti un palais des débris de la Maison dorée de Néron. Là se trouvoient réunis tous les chefs-d’œuvre de la Grèce. De vastes péristyles, des salles incrustées de marbre d’Orient et pavées de mosaïques précieuses, étaloient aux regards les miracles de la sculpture antique : le Mercure de Zénodore, enlevé à la cité d’Arverne dans les Gaules, frappoit par ses dimensions colossales, qui n’ôtoient rien à sa légèreté ; la Joueuse de flûte de Lysippe sembloit chanceler en riant sous le pouvoir de Bacchus ; la Vénus de bronze de Praxitèle disputoit le prix de la beauté à la Vénus de marbre de cet artiste divin ; sa Matrone en larmes et sa Phryné dans la joie montroient la flexibilité de son art : la passion du sculpteur se déceloit dans les traits de la courtisane, qui sembloit promettre au génie la récompense de l’amour. Tout auprès de Phrynè, on admiroit la Lionne sans langue, symbole ingénieux de cette autre courtisane qui mourut dans les tourments plutôt que de trahir Harmodius et Aristogiton. La statue du Désir, qui le faisoit naître, celle de Mars en repos et de Vesta assise, immortalisoient dans ces lieux le talent de Scopas. Galérius à tous ces monuments sans prix avoit ajouté le Taureau d’airain que Périllus inventa pour Phalaris.

Le nouvel empereur habitoit ce beau palais. Hiéroclès, son digne ministre, occupoit un des portiques de la demeure du maître du monde. Les appartements du philosophe stoïque surpassoient en magnificence ceux même de Galérius. Sur les murs polis avec art étoient représentés des paysages charmants, de vastes forêts, de fraîches cascades. Les tableaux des plus grands maîtres ornoient des bains enchantés et des cabinets voluptueux : ici paroissoit la Junon Lacinienne : pour servir de modèle à ce chef-d’œuvre, les Agrigentins avoient jadis offert leurs filles nues aux regards de Zeuxis ; là c’étoit la Vénus d’Apelles sortant de l’onde, digne de régner sur les dieux ou d’être aimée d’Alexandre. On voyoit mourir d’amour le Satyre de Protogène ; l’habitant des bois expiroit sur la mousse à l’entrée d’une grotte tapissée de lierre ; sa main laissoit échapper sa flûte, son thyrse étoit brisé, sa tasse renversée ; et tel étoit l’artifice du peintre, qu’il avoit su réunir ce que Vénus a de plus matériel dans la brute et de