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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/296

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plus céleste dans l’homme. Malheur à celui qui fit sortir les beaux-arts des temples de la divinité pour en décorer la demeure des mortels ! Alors les œuvres sublimes du silence, de la méditation et du génie, devinrent les causes, les éléments, les témoins des plus grands crimes ou des passions les plus honteuses.

Hiéroclès attendoit la fille de Démodocus dans la plus belle salle de son palais. À l’une des extrémités de cette salle respiroit l’Apollon vainqueur du serpent ennemi de Latone ; à l’extrémité opposée s’élevoit le groupe de Laocoon et de ses fils, comme si le sage, au milieu de ses voluptés, n’avoit pu se passer de l’image de l’humanité souffrante ! La pourpre, l’or, le cristal, étinceloient de toutes parts. On entendoit sans cesse le doux bruit des eaux et d’une musique lointaine. Les fleurs les plus rares de l’Asie embaumoient l’air, et des parfums exquis brûloient dans des vases d’albâtre,

Les satellites d’Hiéroclès lui amènent enfin la proie qu’il poursuit depuis si longtemps. Par des détours obscurs et des portes secrètes, que l’on referme soigneusement sur ses pas, Cymodocée est conduite aux pieds du persécuteur. Les esclaves se retirent, et la fille de Démodocus reste seule avec un monstre qui ne craint ni les hommes ni les dieux.

Elle cachoit sa douleur sous les replis d’un voile. On n’entendoit que le bruit de ses pleurs, comme on est frappé dans les bois du murmure d’une source qu’on ne voit point, encore. Son sein, agité par la crainte, soulevoit sa robe blanche. Elle remplissoit la salle d’une espèce de lumière, pareille à cette clarté qui émane du corps des anges et des esprits bienheureux.

Hiéroclès demeure un moment interdit devant l’autorité de l’innocence, de la foiblesse et du malheur. Ses avides regards se repaissent de tant de charmes. Il contemple avec une ardeur effrayante celle qu’il n’a jamais vue si près de lui, celle dont il n’a jamais touché ni la main ni le voile, celle dont il n’a jamais entendu la voix que dans les chœurs des vierges, et qui pourtant a disposé des jours, des nuits, des pensées, des songes, des crimes de l’apostat. Bientôt la passion de cet homme dévoué à l’enfer surmonte le premier moment d’hésitation et de trouble. Il affecte d’abord une modération que l’amour, la jalousie, la vengeance, l’orgueil, ne pouvoient permettre à son cœur. Il adresse ces mots à Cymodocée :

« Cymodocée, pourquoi cette frayeur et ces larmes ? Tu sais que je t’aime. Soumis à tes moindres volontés, tu me verras t’obéir comme ton esclave, si tu consens à m’écouter. »

L’insolent favori de la fortune soulève le voile de Cymodocée. Il