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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/297

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reste ébloui des grâces qu’il découvre. La vîerge rougit, et cachant dans son sein son visage baigné de larmes :

« Je ne veux rien de toi, dit-elle. Je ne te demande rien que de me rendre à mon père. Les bois du Pamysus sont plus agréables à mon cœur que tous tes palais. »

« Eh bien ! répondit Hiéroclès, je te rendrai à ton père ; je comblerai ce vieillard de gloire et de richesses : mais songe qu’une résistance inutile pourroit perdre à jamais l’auteur de tes jours. »

« Me rendras-tu aussi à mon époux ? » s’écria Cymodocée enjoignant ses mains suppliantes.

À ce nom Hiéroclès pâlit, et contenant à peine sa rage :

« Quoi ! dit-il, à ce perfide qui s’est emparé de ton cœur par des philtres et des enchantements ! Écoute : il va perdre la vie dans les tourments. Juge de mon amour pour toi : j’arracherai à la mort ce rival odieux. »

Cymodocée, trompée et poussant un cri de joie, tombe aux pieds d’Hiéroclès ; elle embrasse ses genoux.

« Illustre seigneur, dit-elle, vous êtes placé à la tête des sages. Démodocus mon père m’a souvent raconté que la philosophie élève les mortels au-dessus de ce que j’appelois les dieux. Protégez donc, ô maître des hommes ! protégez l’innocence et réunissez deux époux injustement persécutés ! »

« Nymphe divine, s’écria Hiéroclès transporté d’amour, relève-toi. Ne vois-tu pas que tes charmes détruisent l’effet de tes prières ? Et qui pourroit te céder à un rival ? La sagesse, enfant trop aimable, consiste à suivre les penchants de son cœur. N’en crois pas une religion farouche, qui veut commander à tes sens. Les préceptes de pureté, de modestie, d’innocence, sont sans doute utiles à la foule, mais le sage jouit en secret des biens de la nature. Les dieux n’existent point, ou ne se mêlent point des choses d’ici-bas. Viens donc, ô vierge ingénue, viens : abandonnons-nous sans remords aux délices de l’amour et aux faveurs de la fortune. »

À ces mots, Hiéroclès jette ses bras autour de Cymodocée, comme un serpent s’enlace autour d’un jeune palmier ou d’un autel consacré à la pudeur. La fille de Démodocus se dégage avec indignation des embrassements du monstre.

« Quoi ! dit-elle, c’est là le langage de la sagesse ! Ennemi du ciel, tu oses parler de vertu ! Ne m’as-tu pas promis de sauver Eudore ? »

« Tu m’as mal compris, s’écrie Hiéroclès le cœur palpitant de jalousie et de colère. Tu me parles trop de cet homme, plus horrible à mes yeux que cet enfer dont me menacent tes chrétiens. L’amour que tu lui