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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/298

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portes est l’arrêt de sa mort. Pour la dernière fois, sache à quel prix je laisserai vivre Eudore : il meurt si tu n’es à moi. »

La réprobation parut tout entière sur le visage d’Hiéroclès. Un sourire contracte ses lèvres, et des gouttes de sang tombent de ses yeux. La chrétienne, qui jusque alors avoit été frappée de terreur, se sentit soudain relevée par le coup qui devoit l’abattre. Il n’est d’affreux que le commencement du malheur ; au comble de l’adversité, on trouve, en s’éloignant de la terre, des régions tranquilles et sereines : ainsi, lorsqu’on remonte les rives d’un torrent furieux, on est épouvanté, au fond de la vallée, du fracas de ses ondes ; mais à mesure que l’on s’élève sur la montagne, les eaux diminuent, le bruit s’affoiblit, et la course du voyageur va se terminer aux régions du silence dans le voisinage du ciel.

Cymodocée jette un regard de mépris sur Hiéroclès:

« Je te comprends, dit-elle, et je vois à présent pourquoi mon époux n’a point encore reçu sa couronne ; mais sache que je n’achèterai point par le déshonneur la vie du guerrier que j’aime plus que la lumière des cieux. Il n’est point de supplice qu’Eudore ne préfère à celui de me voir à toi ; tout foible qu’il est, mon époux se rit de ta puissance : tu ne peux que lui donner la palme, et j’espère la partager avec lui. »

« Non, dit Hiéroclès furieux, je n’aurai point perdu le fruit de tant de souffrances, d’humiliations et de complots : j’obtiendrai par la force ce que tu me refuses, et tu verras périr le traître que tu ne veux pas sauver. »

Il dit, et poursuit Cymodocée, qui fuit dans la vaste salle. Elle se précipite aux pieds du Laocoon ; elle menace le persécuteur de se briser la tête contre le marbre ; elle embrasse la statue, et semble un troisième enfant expirant de douleur aux pieds d’un père infortuné.

« Mon père, s’écrie-t-elle, mon père, ne viendras-tu pas me secourir ? Vierge sainte, ayez pitié de moi ! »

À peine a-t-elle prononcé cette prière, le palais retentit des clameurs de mille voix tumultueuses. On frappe à coups redoublés aux portes d’airain. Hiéroclès, étonné, suspend sa poursuite. Dieu, par un effroi soudain, fixe les pas et glace le cœur du pervers.

« C’est la Vierge sainte, s’écrie Cymodocée ; elle vient ! Méchant, tu vas être puni ! »

Le bruit augmente. Hiéroclès ouvre la porte d’une galerie qui dominoit les cours du palais ; il aperçoit une foule immense : au milieu est un vieillard qui tient un rameau de suppliant et porte la robe et les bandelettes d’un prêtre des dieux. On entend de toutes parts ces cris :

« Qu’on lui rende sa fille ! Qu’on livre le traître au suppliant du peuple romain ! »