Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/299

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ces mots parviennent à Cymodocée : elle s’élance aussitôt dans la galerie ; elle reconnoît son père… Démodocus à Rome !… Du haut du palais, Cymodocée avance la tête, ouvre les bras et se penche vers Démodocus. Un cri s’élève :

« La voilà ! c’est une prêtresse des Muses ! c’est la fille de ce vieux prêtre des dieux. »

Démodocus reconnoît sa fille, il la nomme par son nom, il verse des torrents de larmes, il déchire ses vêtements, il tend au peuple des mains suppliantes. Hiéroclès appelle ses esclaves ; il veut enlever Cymodocée ; mais la foule :

« Il y va de ta vie, Hiéroclès ; nous te déchirerons de notre propre main si tu fais la moindre violence à cette vierge des Muses. »

Des soldats mêlés parmi le peuple tirent leurs épées, et menacent le persécuteur. Cymodocée s’attache aux colonnes de la galerie ; la Reine des anges l’y retient par des nœuds invisibles : rien ne l’en peut arracher.

Dans ce moment, Galérius, effrayé du tumulte qu’il entendoit dans son palais, paroît sur un balcon opposé, entouré de sa cour et de ses gardes. Le peuple s’écrie :

« César, justice, justice ! »

L’empereur, par un signe de la main, commande le silence ; et le peuple romain, avec ce bon sens qui le caractérise, se tait et écoute.

Le préfet de Rome, qui favorisoit secrètement cette scène afin de perdre Hiéroclès, étoit auprès de Calérius ; il interroge le peuple :

« Que voulez-vous de la justice d’Auguste ? »

« Vieillard, réponds ! » s’écrie la foule.

Démodocus prend la parole :

« Fils de Jupiter et d’Hercule, divin empereur, aie pitié d’un père qui réclame sa fille ; Hiéroclès l’a renfermée dans ton palais : tu la vois échevelée à ce portique auprès de son ravisseur ; il veut faire violence à une prêtresse des Muses ; je suis moi-même un prêtre des dieux : protège l’innocence, la vieillesse et les autels. »

Hiéroclès répond du haut du portique :

« Divin Auguste, et vous, peuple romain, on vous trompe : cette Grecque est une esclave chrétienne qu’injustement on me veut ravir. »

Démodocus :

« Elle n’est pas chrétienne ; ma fille n’est pas esclave. Je suis citoyen romain. Peuple, n’écoutez pas notre ennemi. »

« Ta fille est-elle chrétienne ? » s’écrie le peuple d’une commune voix.