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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/300

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« Non, repartit Démodocus, elle est prêtresse des Muses : il est vrai que pour épouser un chrétien elle vouloit… »

« Est-elle chrétienne ? interrompit le peuple. Qu’elle parle par elle-même. »

Alors Cymodocée, levant les yeux au ciel, répond :

« Je suis chrétienne. »

« Non, tu ne l’es pas ! s’écrie Démodocus avec des sanglots. Aurois-tu la barbarie de vouloir être à jamais séparée de ton père ? Auguste, peuple romain, ma fille n’a pas été marquée du sceau de la religion nouvelle. »

Dans ce moment, la fille d’Homère découvre Dorothée au milieu de la foule.

« Mon père, dit la vierge en larmes, je vois auprès de vous Dorothée ; c’est lui, sans doute, qui vous a conduit ici pour me sauver : il sait que je suis chrétienne, que j’ai été marquée du sceau de ma religion ; il a été témoin de mon bonheur. Je ne puis nier ma foi : je veux être l’épouse d’Eudore. »

Le peuple s’adressant à Dorothée :

« Est-elle chrétienne ? »

Dorothée baissa la tête, et ne répondit point.

« Vous le voyez, s’écrie Hiéroclès, elle est chrétienne. Je réclame mon esclave. »

Le peuple, interdit, demeure suspendu entre sa fureur contre les chrétiens, sa haine pour Hiéroclès et sa pitié pour Cymodocée ; puis, satisfaisant à la fois sa justice et ses passions :

« Cymodocée est chrétienne, dit-il : qu’on la livre au préfet de Rome et qu’elle subisse le sort des chrétiens ; mais qu’on l’arrache à Hiéroclès, dont elle ne peut être l’esclave. Démodocus est citoyen romain. »

Auguste confirme cette espèce de sentence par un signe de tête, et Publius se hâte de l’exécuter.

Retiré dans son palais, Galérius est agité par des mouvements de honte et de colère : il ne peut pardonner à Hiéroclès d’être la cause d’un rassemblement séditieux qui avoit osé violer l’asile même du prince.

Le préfet de Rome revient trouver Galérius.

« Auguste, lui dit-il, la sédition est apaisée : cette chrétienne de Messénie est jetée dans les prisons. Prince, je ne saurois vous le cacher, votre ministre a compromis le salut de l’empire. Il prétend être l’ennemi des chrétiens ; toutefois, il épargne depuis longtemps la vie du plus dangereux des rebelles. Cymodocée étoit destinée pour