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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/301

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épouse à Eudore : il est bien malheureux que votre premier ministre ait de ridicules démêlés de jalousie avec le chef de vos ennemis. »

Publius s’aperçoit de l’effet de ce discours ; il se hâte d’ajouter :

« Mais, prince, ce ne sont pas là les seuls torts d’Hiéroclès : si on vouloit l’en croire, ce seroit lui qui vous auroit fait nommer Auguste ; ce Grec, qui doit tout à vos bontés, vous auroit revêtu de la pourpre… »

Publius s’interrompit à ces mots, comme s’il eût renfermé dans son cœur des choses encore plus injurieuses à la majesté du prince. Galérius rougit, et l’habile courtisan vit qu’il avoit touché la plaie secrète.

Publius n’avoit point ignoré l’arrivée de Dorothée à Rome, son entrevue avec Démodocus, et les démarches de celui-ci pour conduire la foule au palais ; il eût été facile à Publius de prévenir le mouvement populaire ; mais il se garda bien de faire manquer un projet qui pouvoit renverser Hiéroclès ; il favorisa même par des agents secrets les desseins de Démodocus : maître de tous les ressorts qui faisoient jouer cette grande machine, ses discours insidieux achevèrent d’alarmer l’esprit de Galérius.

« Qu’on me délivre de ce chrétien et de ses complices, dit l’empereur. Je vois avec regret qu’Hiéroclès ne peut plus rester auprès de moi ; mais, en récompense de ses services passés, je le nomme gouverneur de l’Égypte. »

Alors Publius, au comble de la joie :

« Que votre Majesté divine se repose sur moi de tous ces soins. Eudore mérite mille fois la mort ; mais comme ses trahisons ne sont pas assez prouvées, il suffira de le faire juger comme chrétien. Quant à Cymodocée, elle sera condamnée à son tour avec la foule des impies. Hiéroclès va recevoir les ordres de votre Éternité. »

Ainsi parle Publius, et sur-le-champ il fait connoître à Hiéroclès sa destinée.

Le ministre pervers relit plusieurs fois la lettre impériale qui l’éloigne de la cour. Ses joues pâles, ses yeux égarés, sa bouche entr’ouverte exprimoient les douleurs du courtisan criminel qui voit s’évanouir dans un instant les songes de sa vie.

« Dieu des chrétiens, s’écrie-t-il, est-ce toi qui me poursuis ? Pour obtenir Cymodocée, j’ai laissé vivre Eudore, et Cymodocée m’échappe, et mon rival mourra d’une autre main que de la mienne ! J’ai méprisé dans Rome un obscur vieillard, j’ai cru devoir laisser la liberté à un chrétien puissant, et Démodocus et Dorothée m’ont perdu ! aveugle prévoyance humaine ! vaine et fastueuse sagesse, qui n’as pu me conserver ma puissance, et qui ne peux me consoler ! »

Tels étaient les aveux que la douleur arrachoit à Hiéroclès. Des