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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/302

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larmes indignes mouilloient ses paupières. Il déploroit son sort avec la foiblesse d’une femme de peu de sens et d’un moindre cœur ; il eût pourtant voulu sauver Cymodocée, mais le lâche ne se sentoit pas assez de courage pour exposer sa vie.

Tandis qu’il hésite entre mille projets, qu’il ne peut ni se résoudre à braver l’orage, ni consentir à s’éloigner, Dorothée avoit instruit Eudore de l’arrivée de Cymodocée et des événements du palais. Les confesseurs, assemblés autour du fils de Lasthénès, le félicitoient d’avoir choisi une épouse si courageuse et si fidèle. La joie d’Eudore étoit grande, quoique troublée par les nouveaux périls qu’alloit courir la jeune chrétienne.

« Elle a donc confessé Jésus-Christ la première ! s’écrioit-il dans un saint transport. Cet honneur étoit réservé à son innocence ! »

Ensuite il pleuroit d’attendrissement en songeant que sa bien-aimée avoit reçu le baptême dans les eaux du Jourdain par la main de Jérôme.

« Elle est chrétienne ! répétoit-il à tout moment. Elle a confessé Jésus-Christ devant le peuple romain : je puis donc mourir en paix : elle viendra me retrouver ! »

Un rayon d’espérance commençoit à luire dans les cachots. La disgrâce d’Hiéroclès pouvoit amener un changement dans l’empire. Constantin menaçoit Galérius du fond de l’Occident ; le messager qu’Eudore avoit envoyé à Dioclétien pouvoit rapporter d’heureuses nouvelles. Lorsqu’un vaisseau pendant une nuit affreuse a fait naufrage, les matelots boivent l’onde amère et luttent à peine contre les flots ; si une aurore trompeuse perce un moment les ténèbres et découvre à ces infortunés une terre prochaine, ils nagent avec effort vers la rive ; mais bientôt l’aurore s’éteint, la tempête recommence, et les nautoniers s’enfoncent dans l’abîme : telle fut la courte espérance, tel fut le sort des chrétiens.

Les martyrs chantoient encore au Très-Haut un cantique de louanges, lorsqu’ils virent entrer Zacharie. Déjà l’apôtre des Francs connoissoit le destin de son ami :

« Chantez, dit-il, mes frères, chantez ! Vous avez un juste sujet de joie ! Demain un grand saint augmentera peut-être le nombre de vos intercesseurs auprès de Dieu ! »

Tous les confesseurs se turent. Le silence règne un moment dans la prison. Chacun cherche à deviner quelle est l’heureuse victime, chacun désire que le sort soit tombé sur lui, chacun repasse dans son esprit les titres qu’il peut avoir à cet honneur. Eudore avoit à l’instant compris Zacharie, mais il rejetoit les espérances du martyre comme une