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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/303

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pensée superbe et une tentation de l’enfer. Il craignoit de pécher par orgueil en se désignant lui-même ; il se jugeoit indigne de mourir de préférence à ces vieux confesseurs qui depuis si longtemps combattoient pour Jésus-Christ. Zacharie fit bientôt cesser cette sublime incertitude et cette émulation divine ; il s’approche d’Eudore :

« Mon fils, dit-il, je vous ai sauvé la vie ; vous me devez votre gloire : ne m’oubliez pas quand vous serez dans le ciel. »

À l’instant, tous les évêques, tous les prêtres, tous les prisonniers tombent aux genoux du martyr, baisent le bas de ses vêtements, et se recommandent à ses prières. Eudore, resté debout au milieu de ces vieillards prosternés, ressembloit à un jeune cèdre du Liban, seul rejeton d’une forêt antique abattue à ses pieds.

Un licteur, précédé de deux esclaves portant des torches de cyprès, pénètre dans le cachot. Surpris de l’adoration des prisonniers, qui demeurèrent dans la même attitude, il en croyoit à peine ses regards :

« Roi des chrétiens, dit-il à l’époux de Cymodocée, quel est parmi ton peuple le tribun que l’on nomme Eudore ? »

« C’est moi, » répondit le fils de Lasthénès.

« Eh bien ! dit le licteur, encore plus étonné, c’est donc toi qui dois mourir ! »

« Vous le voyez à mes honneurs, » repartit Eudore.

Un esclave déroule l’écrit fatal, et lit à haute voix l’ordonnance de Publius :

« Eudore, fils de Lasthénès, natif de Mégalopolis en Arcadie, jadis tribun de la légion britannique, maître de la cavalerie, préfet des Gaules, paroîtra demain au tribunal de Festus, juge des chrétiens, pour sacrifier aux dieux ou mourir. »

Eudore s’inclina, et le licteur sortit.

Comme dans les fêtes de la ville de Thésée on voit une jeune canéphore se dérober aux yeux de la foule qui vante sa pudeur et ses grâces, ainsi Eudore, qui porte déjà les palmes du sacrifice, se retire au fond de la prison, pour éviter les louanges de ses compagnons de gloire. Il demande la liqueur mystérieuse dont les chrétiens se servoient entre eux au temps des persécutions, et il trace ses adieux à Cymodocée.

Ange des saintes amours, vous qui gardez fidèlement l’histoire des passions vertueuses, daignez me confier la page du livre de mémoire où vous gravâtes les tendres et pieux sentiments du martyr !

« Eudore, serviteur de Dieu, enchaîné pour l’amour de Jésus-Christ : à notre sœur Cymodocée, désignée pour notre épouse et la compagne de nos combats, paix, grâce et amour.