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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/304

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« Ma colombe, ma bien-aimée, nous avons appris avec une joie digne de l’amour qui est pour vous dans notre cœur, que vous aviez été baptisée dans les eaux du Jourdain par notre ami le solitaire Jérôme. Vous venez de confesser Jésus-Christ devant les juges et les princes de la terre. Ô servante du Dieu véritable, quel éclat doit avoir maintenant votre beauté ! Pourrions-nous nous plaindre, nous trop injustement puni, tandis que vous, Ève encore non tombée, vous souffrez les persécutions des hommes ? Ce nous est une tentation dangereuse de penser que ces bras si foibles et si délicats sont abattus sous le poids des chaînes ; que cette tête ornée de toutes les grâces des vierges, et qui mériteroit d’être soutenue par la main des anges, repose sur une pierre dans les ténèbres d’une prison. Ah ! s’il nous eût été donné d’être heureux avec vous !… Mais loin de nous cette pensée ! Fille d’Homère, Eudore va vous devancer au séjour des concerts ineffables : il faut qu’il coupe le fil de ses jours, comme un tisserand coupe le fil de sa toile à moitié tissue. Nous vous écrivons de la prison de saint Pierre, la première année de la persécution. Demain nous comparoîtrons devant les juges, à l’heure où Jésus-Christ mourut sur la croix. Ma bien-aimée, notre amour pour vous seroit-il plus fort, si nous vous écrivions de la maison des rois et durant l’année du bonheur ?

« Il faut vous quitter, ô vous qui êtes née la plus belle entre les filles des hommes ! Nous demandons au ciel avec larmes qu’il nous permette de vous revoir ici-bas, ne fût-ce que pour un moment. Cette grâce nous sera-t-elle accordée ? Attendons avec résignation les décrets de la Providence ! Ah ! du moins, si nos amours ont été courts, ils ont été purs ! Ainsi que la Reine des anges, vous gardez le doux nom d’épouse sans avoir perdu le beau nom de vierge. Cette pensée, qui feroit le désespoir d’une tendresse humaine, fait la consolation d’une tendresse divine. Quel bonheur est le nôtre ! Ô Cymodocée ! nous étions destiné à vous appeler ou la mère de nos enfants, ou la chaste compagne de notre félicité éternelle !

« Adieu donc, ô ma sœur ! Adieu, ma colombe, ma bien-aimée ! priez votre père de nous pardonner ses larmes. Hélas ! il vous perdra peut-être, et il n’est pas chrétien : il doit être bien malheureux !

« Voici la salutation que moi Eudore j’ajoute à la fin de cette lettre :

« Souvenez-vous de mes liens, ô Cymodocée !

« Que la douceur de Jésus-Christ soit avec vous ! »


fin du livre vingtième.