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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/306

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Les prisonniers se mettent à genoux autour de Cyrille, qui commence à voix basse une messe sans calice et sans autel. Les confesseurs, alarmés, ne savent où il va consacrer la victime sans tache. sublime invention de la charité ! ô touchante cérémonie ! le vieil évêque dépose l’hostie sur son cœur, qui devient ainsi l’autel du sacrifice. Jésus-Christ martyr est offert en holocauste sur le cœur d’un martyr ! Un Dieu s’élève de ce cœur, un Dieu descend dans ce cœur.

Cependant Eudore, dépouillé de l’habit de sa pénitence, reçoit en échange une robe éclatante de blancheur. Perséus et Zacharie se lèvent pour remplir les fonctions de diacre et d’archidiacre : ils adressent au nom des chrétiens ces paroles à Cyrille :

« Très-cher à Dieu, c’est ici le moment de la miséricorde ; ce pénitent veut être réconcilié, et l’Église vous le demande : il a été postulant, auditeur, prosterné ; faites-le remonter au rang des élus. »

Cyrille dit alors :

« Pénitent, promettez-vous de changer de vie ? Levez les mains au ciel en signe de cette promesse. »

Eudore leva vers le ciel ses bras chargés de chaînes : il parut orné de ses liens comme une jeune épouse de ses bracelets et des franges d’or qui bordent sa robe. Cyrille prononça sur lui ces paroles :

« Fidèle, je l’absous par la miséricorde de Jésus-Christ, qui délie dans le ciel tout ce que ses apôtres délient sur la terre. »

À ces mots, Eudore tombe aux pieds de l’évêque : il reçoit des mains du diacre le saint viatique, ce pain du voyageur chrétien préparé pour le pèlerinage de l’éternité. Les confesseurs admirent au milieu d’eux le martyr désigné, qui, semblable à un consul romain choisi par le peuple, va bientôt déployer les marques de sa puissance. Le monde n’auroit aperçu dans cette assemblée de proscrits que des hommes obscurs destinés à périr du dernier supplice ; et pourtant là se voyoient les chefs d’une race nombreuse qui devoit couvrir la terre ; là se trouvoient des victimes dont le sang alloit éteindre le feu de la persécution et faire régner la croix sur l’univers. Mais combien de larmes couleront encore avant que cette persécution ait amené le jour du triomphe !

Démodocus n’étoit arrivé à Rome que pour avoir le cœur déchiré. Averti du premier malheur qui menaçoit la prêtresse des Muses, il étoit parvenu à rassembler le peuple et à le conduire au palais de Galérius ; mais à peine a-t-il arraché Cymodocée des mains d’Hiéroclès, qu’elle lui est enlevée comme chrétienne. On interdit au vieillard la vue de sa fille : toute pitié a disparu depuis que la jeune Messénienne s’est déclarée de la secte proscrite. Le gardien de la prison de saint Pierre