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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/309

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Tandis que la fille de Démodocus se livre à ces pensers amers, elle entend tout à coup retentir des pas au fond de sa prison. Blanche, la femme du gardien, s’avance et remet à Cymodocée la lettre d’Eudore, avec le secret nécessaire pour lire ces tristes adieux. Cette chrétienne timide, qui n’ose braver ouvertement son époux et les supplices, se hâte de sortir, et referme les portes du cachot.

Cymodocée, restée seule, prépare aussitôt la liqueur qui, versée sur la page blanche, doit faire paroître les traits mystérieux que l’amour et la religion y avoient tracés. Au premier essai, elle reconnoît l’écriture d’Eudore ; bientôt elle parvient à lire les premiers témoignages de l’amour de son époux ; les expressions du martyr deviennent plus tendres ; on entrevoit quelque annonce funeste ; Cymodocée n’ose plus déchiffrer l’écrit fatal. Elle s’arrête, elle recommence, s’arrête de nouveau, recommence encore ; enfin, elle arrive à ces mots :

« Fille d’Homère, Eudore va peut-être vous devancer au séjour des concerts ineffables. Il faut qu’il coupe le fil de ses jours, comme un tisserand coupe le fil de sa toile à moitié tissue. »

Soudain les yeux de la jeune chrétienne s’obscurcissent, et elle tombe évanouie sur la pierre de la prison.

Mais, ô Muse céleste, d’où viennent ces transports de joie qui éclatent dans les parvis éternels ? Pourquoi les harpes d’or font-elles entendre ces sons mélodieux ? Pourquoi le roi-prophète soupire-t-il ses plus beaux cantiques ? Quelle allégresse parmi les anges ! Le premier des martyrs, le glorieux Étienne, a pris dans le Saint des saints une palme éclatante ; il la porte vers la terre avec un front incliné et respectueux. Cieux, racontez le triomphe du juste ! Le moment si court des afflictions de la vie va produire un bonheur qui ne finira plus. Eudore a paru devant le juge !

Il a dit adieu à ses amis ; il a recommandé à leur charité son épouse et Démodocus. Les soldats ont conduit le martyr au temple de la Justice, bâti par Auguste, près du théâtre de Marcellus. Au fond d’une salle immense et découverte s’élève une chaire d’ivoire, surmontée de la statue de Thémis, mère de l’Équité, de la Loi et de la Paix. Le juge est placé sur cette chaire : à sa gauche sont des sacrificateurs, un autel, une victime ; à sa droite, des centurions et des soldats ; devant lui, des entraves, un chevalet, un bûcher, une chaise de fer, mille instruments de supplice et de nombreux bourreaux : dans la salle est la foule du peuple. Eudore, enchaîné, se tient debout au pied du tribunal. Les hérauts, ministres de Jupiter et des hommes, commandent le silence. Le juge interroge, et l’écrivain grave sur des tablettes les actes du martyr.