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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/312

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à cette vertueuse femme un rang parmi les élus. Elle étoit tombée, au sortir du monde, dans le lieu où les âmes achèvent d’expier leurs erreurs, parce qu’elle avoit aimé ses enfants avec trop de foiblesse et qu’elle étoit ainsi devenue la première cause des égarements de son fils. Eudore, par l’hommage volontaire de son sang, avoit obtenu la fin des épreuves de Séphora. Les trois prophètes qui lisent devant l’Éternel le livre de vie, Isaïe, Élie et Moïse, proclament le nom de l’âme délivrée. Marie se lève de son trône : les anges qui lui présentoient les vœux des mères, les pleurs des enfants, les douleurs des pauvres et des infortunés, suspendent un moment leurs offrandes. Elle monte vers son Fils ; elle entre dans la région où l’agneau règne au milieu des vingt-quatre vieillards ; elle s’avance jusqu’aux pieds d’Emmanuel, et, s’inclinant devant la seconde Essence incréée :

« Ô mon Fils ! si, n’étant encore qu’une foible mortelle, j’ai porté dans mon sein le poids de votre éternité ; si vous daignâtes confier à mon amour le soin de votre humanité souffrante, daignez écouter ma prière ! Vos prophètes ont annoncé la délivrance de la mère du nouveau martyr. Les fidèles vont-ils enfin jouir de la paix du Seigneur ! Fille des hommes, vous m’avez permis de vous présenter leurs larmes. Je vois un confesseur qu’un tigre va déchirer ; le sang qu’il a déjà répandu ne suffit-il pas pour racheter ce chrétien et le faire rentrer dans votre gloire ? Faut-il qu’il achève son sacrifice, et la voix de Marie ne peut-elle rien changer à la rigueur de vos conseils ? »

Ainsi parle la Mère des sept douleurs. Alors le Messie, d’un ton miséricordieux :

« Ô ma mère ! vous le savez, je compatis aux larmes des hommes ; je me suis chargé pour eux du fardeau de toutes les misères du monde. Mais il faut que les décrets de mon Père s’accomplissent. Si mes confesseurs sont persécutés un moment sur la terre, ils jouiront dans le ciel d’une gloire sans fin. Cependant, ô Marie ! le moment de leur triomphe approche : la grâce même a commencé. Descendez vers les lieux où les fautes sont effacées par la pénitence ; ramenez au ciel avec vous la femme dont les prophètes ont déclaré la béatitude, et que la félicité du martyr pour lequel vous m’implorez commence par le bonheur de sa mère. »

Un sourire accompagne les paroles pacifiques du Sauveur du monde. Les vingt-quatre vieillards s’inclinent sur leurs trônes, les Chérubins se voilent de leurs ailes ; les sphères célestes s’arrêtent pour écouter le Verbe éternel, et les profondeurs du chaos tressaillent et sont éclairées, comme si quelque création nouvelle alloit sortir du néant.

Aussitôt Marie descend vers le lieu de la purification des âmes. Elle