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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/319

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mains d’Hiéroclès ? Sera-t-elle interrogée par le juge ? Pourra-t-elle soutenir d’aussi terribles épreuves ? A-t-elle été condamnée à la mort sur son premier aveu, avec les confesseurs de la prison de saint Pierre ? Eudore se représentoit Cymodocée déchirée par des lions et implorant en vain le secours de l’époux pour qui elle donnoit sa vie. À ce tableau il opposoit celui du bonheur qu’il auroit pu goûter avec une femme si belle et si pure. Mais une voix s’élevoit tout à coup dans sa conscience, et lui crioit :

« Martyr ! sont-ce là les pensées qui doivent occuper ton âme ? L’éternité ! l’éternité ! »

Les évêques, habiles dans la connoissance du cœur, s’apercevoient des combats intérieurs de l’athlète. Ils devinoient ses pensées, et cherchoient à relever son courage :

« Compagnon, lui disoit Cyrille, soyons pleins de joie : bientôt nous irons à la gloire. Voyez dans cette prison, comme dans une riante campagne, ce champ d’épis mûrs qui seront tous moissonnés et rempliront les granges du bon pasteur ! Cymodocée sera peut-être avec nous : c’est une fleur qui s’est trouvée au milieu du froment, et qui parfumera les corbeilles ! Si Dieu l’ordonne ainsi, que sa volonté soit faite ! Mais demandons plutôt au ciel qu’il laisse votre épouse ici-bas, afin qu’elle offre pour nous à l’Éternel le sacrifice agréable de ses innocentes prières. »

Lorsque après une nuit brûlante d’été un vent frais s’élève de l’orient avec le jour, le nautonier dont le vaisseau languissoit sur une mer immobile salue le Zéphyr, enfant de l’Aurore, qui lui ramène la fraîcheur et lui abrège le chemin : ainsi les paroles de Cyrille, comme un souffle bienfaisant, raniment le martyr et le poussent dans la voie du ciel. Toutefois, il ne peut se dépouiller entièrement de l’homme : depuis longtemps il a chargé des chrétiens intrépides de sauver Cymodocée et de n’épargner ni soins, ni peines, ni trésors ; il se confie surtout au courage de Dorothée, qui déjà deux fois a vainement essayé pendant la nuit d’escalader la prison de la fille d’Homère.

Plus heureux à l’égard de Démodocus, Dorothée étoit parvenu à l’arracher des portes du cachot et à le conduire dans une retraite assurée.

« Infortuné vieillard, lui disoit-il, pourquoi précipiter ainsi la fin de vos jours ? Craignez-vous qu’ils ne s’enfuient pas assez vite ? Réservez vos cheveux blancs pour votre fille. Si Dieu la veut rendre à vos embrassements, elle aura plus besoin de vos consolations que vous n’aurez besoin des siennes : elle aura perdu son époux ! »

« Eh ! comment, répondoit le vieillard, veux-tu que je cesse de