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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/327

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ment à Dieu leurs prières, déplorer des excès criminels et donner tous les exemples de la modestie et de la raison au milieu de la débauche et de l’ivresse ! Quelques autels secrets dans les cachots, au fond des catacombes, sur les tombeaux des martyrs, rassembloient les fidèles persécutés. Ils jeûnoient, ils veilloient, victimes volontaires, pour expier les crimes du monde ; et, tandis que les noms de Flore et de Bacchus retentissoient dans des hymnes abominables, au milieu du sang et du vin, les noms de Jésus-Christ et de Marie se répétoient en secret dans de chastes cantiques au milieu des larmes.

Tous les chrétiens se tenoient renfermés dans leurs maisons, évitant à la fois la fureur du peuple et le spectacle de l’idolâtrie. On ne voyoit errer au dehors que quelques prêtres attachés au service des hospices et des prisons, des diacres chargés de sauver les pauvres voués à la mort par Galérius, des femmes qui recueilloient les esclaves abandonnés par leurs maîtres et les enfants exposés par leurs mères. Ô charité des premiers fidèles ! Leur trépas étoit le principal ornement des fêtes païennes, et ils s’occupoient du sort des idolâtres, comme si les idolâtres eussent été pour eux des frères pleins de compassion et de tendresse !

Cependant, après avoir repoussé les assauts du prince des ténèbres, les martyrs victorieux étoient rentrés dans leurs cachots : ainsi jadis, sous les murs d’Ilion, une troupe de héros s’élançoit sur l’ennemi qui tenoit la ville assiégée : les travaux sont détruits, les fossés comblés, les palissades arrachées, et les fils de Laomédon rentrent triomphants dans leurs sacrés remparts. Mais Eudore, fatigué du dernier combat, ne peut soulever sa tête abattue : en vain les évêques lui parlent, le consolent, élèvent aux cieux son courage, il reste muet et insensible à leurs discours. L’image des nouveaux périls de Cymodocée ne peut sortir de sa mémoire. Quels doivent être les tourments de ce martyr ! Déjà, presque assis sur les nuées, il a pu balancer et peut-être balance encore entre la honte de l’apostasie, l’éternité des douleurs de l’enfer et les maux qu’il endure en ce moment !

Le fils de Lasthénès ignoroit qu’il avoit été trompé à dessein par le juge. Festus étoit l’ami du préfet de Rome, et cette raison seule l’eût empêché de livrer Cymodocée à Hiéroclès. Mais Festus avoit d’ailleurs été frappé des réponses et de la magnanimité d’Eudore. En descendant du tribunal, il s’étoit rendu au palais de Galérius, et avoit supplié l’empereur de nommer un autre juge aux chrétiens.

« Il n’est plus besoin de juges, s’écria le tyran irrité. Ces scélérats se font une gloire de leurs supplices, et l’entêtement qu’ils y mettent corrompt le peuple et les soldats. Avec quelle insolence a osé souffrir