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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/329

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d’un confesseur mutilé, Hiéroclès voit ses douleurs soulagées par la même main qui vient de panser les plaies d’un martyr. Mais tant de vertus ne font qu’irriter cet homme repoussé de Dieu : tantôt il appelle à grand cris Cymodocée, tantôt il croit apercevoir Eudore une épée flamboyante à la main et le menaçant du haut du ciel. Ce fut au milieu d’un de ces transports qu’on vint lui annoncer le dernier ordre de Galérius. Alors, se soulevant comme un spectre sur son lit pestiféré, le faux sage murmure ces mots d’une voix effrayée et incertaine :

« Je vais me reposer pour jamais. »

Il expire. Effroyable et trompeuse espérance ! Cette âme, qui croyoit mourir avec le corps, au lieu d’une nuit profonde et tranquille, aperçoit tout à coup au fond du tombeau une lumière prodigieuse. Une voix qui sort du milieu de cette lumière prononce distinctement ces paroles :

« Je suis celui qui suis. »

À l’instant l’éternité vivante est révélée à l’âme de l’athée. Trois vérités frappent à la fois cette âme confondue : sa propre existence, celle de Dieu, et la certitude des récompenses sans terme et des châtiments sans fin. Oh ! que n’est-elle ensevelie sous les débris de l’univers, pour se cacher à la face du souverain Juge ! Une force invincible la porte, dans un clin d’œil, nue et tremblante, au pied du tribunal de Dieu. Elle voit, pour un seul moment, celui qu’elle a renié dans le temps et qu’elle ne verra plus dans l’éternité. Le Tout-Puissant paroît sur les nuées, son Fils est assis à sa droite, l’armée des saints l’environne ; l’enfer accourt pour réclamer sa proie. L’ange protecteur d’Hiéroclès, confus et touché jusqu’aux larmes, se tient encore auprès de l’infortuné.

« Ange, dit le souverain Arbitre, pourquoi n’as-tu pas défendu cette âme ? »

« Seigneur, répond l’ange se voilant de ses ailes, vous êtes le Dieu des miséricordes ! »

« Créature, dit la même voix, l’ange ne t’auroit-il pas donné des avertissements salutaires ? »

L’âme, dans une terreur profonde, s’étoit jugée elle-même, et elle ne répondit point.

« Elle est à nous, s’écrièrent les anges rebelles : cette-âme a trompé le monde par une fausse sagesse ; elle a persécuté l’innocence, outragé la pudeur, versé le sang innocent ; elle ne s’est point repentie. »

« Ouvrez le Livre de vie, » dit l’Ancien des jours.

Un prophète ouvrit le Livre de vie : le nom d’Hiéroclès étoit effacé.

« Va, maudit, aux feux éternels, » dit le Juge incorruptible.