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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/330

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À l’instant l’âme de l’athée commence à haïr Dieu de la haine des réprouvés, et tombe en des profondeurs brûlantes. L’enfer s’ouvre pour la recevoir, et se referme sur elle en prononçant :

« L’éternité ! »

L’écho de l’abîme répète :

« L’éternité ! »

Le Père des humains, qui vient de punir le crime, songe à couronner l’innocence.

Il est dans le ciel une puissance divine, compagne assidue de la religion et de la vertu ; elle nous aide à supporter la vie, s’embarque avec nous pour nous montrer le port dans les tempêtes, également douce et secourable aux voyageurs célèbres, aux passagers inconnus. Quoique ses yeux soient couverts d’un bandeau, ses regards pénètrent l’avenir ; quelquefois elle tient des fleurs naissantes dans sa main, quelquefois une coupe pleine d’une liqueur enchanteresse ; rien n’approche du charme de sa voix, de la grâce de son sourire ; plus on avance vers le tombeau, plus elle se montre pure et brillante aux mortels consolés : la Foi et la Charité lui disent : « Ma sœur ! » et elle se nomme l’Espérance.

L’Éternel ordonne à ce beau séraphin de descendre vers Cymodocée et de lui montrer de loin les joies célestes, afin de la soutenir au milieu des tribulations de la terre. Un faux rapport avoit interrompu pour quelques instants les chagrins de la jeune chrétienne. Le bruit s’étoit répandu dans Rome qu’Eudore venoit de recevoir sa grâce : la lettre de Festus et la scène du repas libre mal expliquée avoient donné naissance à cette rumeur populaire. Blanche s’étoit empressée de communiquer ce faux rapport comme une nouvelle certaine à la fille de Démodocus ; mais combien Blanche se repentit de son indiscrète bonté lorsqu’elle connut le véritable destin d’Eudore et l’arrêt qui condamnoit à mort tous les chrétiens des prisons ! Sævus, plein d’une brutale joie, lui commande de porter à Cymodocée le vêtement des femmes martyres. C’étoit une tunique bleue, une ceinture noire, des brodequins noirs, un manteau noir et un voile blanc. La foible et désolée gardienne accomplit en pleurant son message de douleur. Elle n’eut pas la force de détromper l’orpheline et de lui apprendre son sort.

« Voilà, lui dit-elle, ma sœur, un vêtement nouveau. Que la paix du Seigneur soit avec vous ! »

« Qu’est-ce que ce vêtement ? dit Cymodocée. Est-ce ma robe nuptiale ? Est-ce mon époux qui me l’envoie ? »

« C’est pour lui qu’il faut la prendre, » répliqua la femme du gardien.