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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/331

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« Oh ! dit Cymodocée, pleine de joie, mon époux a reçu sa grâce, nous achèverons noire hymen ! »

Blanche avoit le cœur brisé ; elle se contenta de dire :

« Priez, ma sœur, pour vous et pour moi ! »

Elle sortit.

Demeurée seule avec le vêtement de gloire, Cymodocée le considère et le prend dans ses mains charmantes.

« On m’ordonne, dit-elle, de me parer pour mon époux, il faut obéir. »

Aussitôt elle revêt la tunique, qu’elle rattache avec la ceinture ; les brodequins couvrent ses pieds, plus blancs que le marbre de Paros ; elle jette le voile sur sa tête et suspend à son épaule le manteau : telle la Muse des mensonges nous peint la Nuit, mère de l’Amour, enveloppée de ses voiles d’azur et de ses crêpes funèbres ; telle Marcie (moins jeune, moins belle, moins vertueuse) se montra aux yeux du dernier Caton, quand elle le réclama pour époux au milieu des malheurs de Rome, et qu’elle parut à l’autel de l’hymen avec l’habit d’une veuve éplorée. Cymodocée ne sait pas qu’elle porte la robe de la mort ! Elle se regarde dans ce triste appareil, qui la rend cent fois plus touchante ; elle se rappelle le jour où elle se couvrit des ornements des Muses pour aller avec son père remercier la famille de Lasthénès.

« Ma robe nuptiale, disoit-elle, n’est pas aussi éclatante, mais elle plaira peut-être davantage à mon époux, parce que c’est une robe chrétienne. »

Le souvenir de son premier bonheur et du doux pays de la Grèce inspira la fille d’Homère. Elle s’assit devant la fenêtre de la prison, et reposant sur sa main sa tête, embellie du voile des martyrs, elle soupira ces paroles harmonieuses :

« Légers vaisseaux de l’Ausonie, fendez la mer calme et brillante ! Esclaves de Neptune, abandonnez la voile au souffle amoureux des vents ! Courbez-vous sur la rame agile. Reportez-moi, sous la garde de mon époux et de mon père, aux rives fortunées du Pamysus.

« Volez, oiseaux de Libye, dont le cou flexible se courbe avec grâce volez au sommet de l’Ithome, et dites que la fille d’Homère va revoir les lauriers de la Messénie !

« Quand retrouverai-je mon lit d’ivoire, la lumière du jour, si chère aux mortels, les prairies émaillées de fleurs qu’une eau pure arrose, que la pudeur embellit de son souffle !

« J’étois, semblable à la tendre génisse sortie du fond d’une grotte, errante sur les montagnes et nourrie au son des instruments champêtres. Aujourd’hui, dans une prison solitaire, sur la couche indigente de Cérès !…