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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/332

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« Mais d’où vient qu’en voulant chanter comme la fauvette je soupire comme la flûte consacrée aux morts ? Je suis pourtant revêtue de la robe nuptiale ; mon cœur sentira les joies et les inquiétudes maternelles ; je verrai mon fils s’attacher à ma robe, comme l’oiseau timide qui se réfugie sous l’aile de sa mère. Eh ! ne suis-je pas moi-même un jeune oiseau ravi au sein paternel !

« Que mon père et mon époux tardent à paroître ! Ah ! s’il m’étoit permis d’implorer encore les Grâces et les Muses ! Si je pouvois interroger le ciel dans les entrailles de la victime ! Mais j’offense un Dieu que je connois à peine : reposons-nous sur la croix. »

Déjà la nuit enveloppoit Rome enivrée. Tout à coup les portes de la prison s’ouvrent, et le centurion chargé de lire aux chrétiens la sentence de l’empereur paroît devant Cymodocée. Il étoit accompagné de plusieurs soldats : quelques autres, arrêtés dans les cours extérieures, retenoient le gardien et lui prodiguoient le vin des idoles.

Comme une colombe que le chasseur a surprise dans le creux d’un rocher reste immobile de frayeur et n’ose s’envoler dans les plaines du ciel, ainsi la fille de Démodocus demeure frappée d’étonnement et de crainte sur le siège à demi brisé où elle étoit assise. Les soldats allument un flambeau. Ô prodige ! l’épouse d’Eudore reconnoît Dorothée sous l’habit du centurion ! Dorothée contemple à son tour, sans pouvoir parler, cette femme dans l’appareil du martyre ! Jamais il ne l’avait vue si belle : la tunique bleue, le manteau noir, faisoient éclater la blancheur de son teint, et ses yeux, fatigués par les pleurs, avoient une douceur angélique : elle ressembloit à un tendre narcisse qui penche sa tête languissante au bord d’une eau solitaire. Dorothée et les autres chrétiens déguisés en soldats lèvent les bras au ciel et fondent en larmes.

« C’est toi, compagnon de mes courses loin de ma patrie ! s’écria la jeune Messénienne en se mettant à genoux et tendant les mains à Dorothée. Tu visites enfin ton Esther ! Mortel généreux, viens-tu guider mes pas vers mon père et vers mon époux ? Que la nuit eût été longue sans toi ! »

Dorothée, la voix entrecoupée par les pleurs, répondit :

« Cymodocée, vous connoissez donc votre sort ? Cette robe… »

« C’est ma robe nuptiale, dit la vierge ingénue. Mais si tout est fini, si mon époux est sauvé, si je suis libre, pourquoi ces pleurs et ce mystère ? »

« Fuyons, repartit Dorothée ; enveloppez-vous dans cette toge, nous n’avons pas un moment à perdre. Accompagné de ces braves amis, je me suis glissé dans votre prison à la faveur de ce déguisement ; j’ai