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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/333

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montré la sentence de l’empereur : Sævus m’a pris pour le centurion qui vient vous annoncer l’arrêt fatal. »

« Quel arrêt ? » dit la fille d’Homère.

« Vous ne savez donc pas, repartit Dorothée, que les chrétiens des prisons sont condamnés à mourir demain dans l’amphithéâtre ? »

« Mon époux est-il compris dans cet arrêt ? dit la nouvelle chrétienne en se levant avec une gravité qu’elle n’avoit pas encore montrée : parlez, ne me trompez pas. Je ne connois point le serment inviolable des chrétiens ; autrefois j’aurois juré par l’Érèbe et par le génie de mon père. Voilà votre livre sacré ; il est écrit dans ce livre : « Vous ne mentirez pas : » jurez donc sur l’Évangile qu’Eudore est sauvé. »

Dorothée pâlit ; les yeux noyés de larmes, il s’écria :

« Femme, voulez-vous donc que je vous parle de la gloire dont votre époux s’est couvert et de celle qui l’attend encore ? »

Cymodocée trembla comme le palmier frappé de la foudre.

« Vos paroles, dit-elle, ont descendu dans mon cœur comme un glaive. Je vous entends ! Et vous voulez que je fuie ! Je ne reconnois pas là les maximes d’un chrétien ! Eudore est couvert de plaies pour son Dieu ; il combattra demain les bêtes féroces, et l’on me conseille de me soustraire à mon sort, de l’abandonner au sien ! Je sens à mes côtés je ne sais quelle espérance qui me fait entrevoir un bonheur et des beautés divines. Si quelquefois, foible et découragée, j’ai jeté un regard complaisant sur la vie, toutes ces craintes sont dissipées. Non, l’eau du Jourdain n’aura pas coulé en vain sur ma tête ! Je vous salue, robe sacrée, dont je ne connoissois pas le prix ! Je le vois, vous êtes la robe du martyre ! La pourpre qui vous teindra demain sera immortelle et me rendra plus digne de paroître devant mon époux ! »

En prononçant ces mots, Cymodocée, saisie d’un enthousiasme divin, portoit sa robe à ses lèvres et la baisoit avec respect.

« Eh bien ! s’écria Dorothée, si vous ne voulez pas nous suivre, nous périrons tous avec vous ; nous demeurerons ici, nous nous déclarerons chrétiens, et demain vous nous conduirez à l’amphithéâtre. Mais quoi ! la religion vous commande-t-elle cette barbarie ? Vous voulez mourir sans recevoir la bénédiction de votre père, sans embrasser ce vieillard qui vous attend, et que votre résolution va conduire au tombeau ! Ah ! si vous l’aviez vu souiller ses cheveux avec des cendres brûlantes, déchirer ses habits, se rouler au pied des murs de votre prison, Cymodocée, vous vous laisseriez attendrir. »

Comme la glace qu’une seule nuit a formée dans les premiers jours du printemps se fond aux rayons du soleil ; comme la fleur près d’éclore brise la légère enveloppe du bouton qui la retient, ainsi la