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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/334

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résolution de Cymodocée s’évanouit à ces paroles ; ainsi la piété filiale éclate et refleurit au fond de son cœur. Elle ne peut se résoudre à compromettre les hommes généreux qui s’exposent pour la sauver ; elle ne peut mourir sans chercher à consoler Démodocus : elle garde un moment le silence ; elle écoute les conseils de l’ange des espérances célestes, qui parle à son âme ; puis soudain, renfermant en elle-même un projet sublime :

« Allons revoir mon père ! »

Les chrétiens, au comble de la joie, couvrent d’un casque les cheveux de la jeune fille ; ils enveloppent Cymodocée dans une de ces toges blanches bordées de pourpre que les adolescents prenoient à Rome au sortir de l’enfance : on eût cru voir la légère Camille, le bel Ascagne ou l’infortuné Marcellus. Les chrétiens placent la fille d’Homère au milieu d’eux ; ils éteignent les flambeaux, sortent tous ensemble et laissent le gardien, plongé dans l’ivresse, fermer soigneusement des cachots vides.

La troupe sainte se disperse dans la nuit, et Zacharie va porter à Eudore la nouvelle de la délivrance de Cymodocée.

Déjà l’on connoissoit dans la prison de saint Pierre le mensonge généreux du billet de Festus, et le fils de Lasthénès étoit soulagé d’une douleur insupportable. Mais lorsque Zacharie vint lui dire que la brebis étoit sortie de la caverne des lions, il poussa un cri de joie qui fut répété par tous les martyrs. Les confesseurs, en admirant les fidèles qui combattoient pour la foi, ne désiroient point voir couler le sang de leurs frères. Les victimes, attristées par le deuil du fils de Lasthénès, reprirent leur sérénité : il ne s’agissoit plus que de mourir ! On commença par remercier le Dieu qui sauva Joas des mains d’Athalie. Ensuite revinrent les discours graves, les exhortations pieuses : Cyrille parloit avec majesté, Victor avec force, Genès avec gaieté, Gervais et Protais avec une onction fraternelle ; Perséus, le descendant d’Alexandre, offroit des leçons tirées de l’histoire ; Thraséas, l’ermite du Vésuve, enveloppoit ses maximes dans des images riantes.

« Puisque toute la vie, disoit-il à Perséus, se réduit à quelques jours, que vous seroit-il revenu des grandeurs de votre naissance ? Que vous importe aujourd’hui d’avoir accompli le voyage dans un esquif ou sur une trirème ? L’esquif même est préférable, car il vogue sur le fleuve auprès de la terre, qui lui présente mille abris ; le vaisseau navigue sur une mer orageuse où les ports sont rares, les écueils fréquents, et où souvent on ne peut jeter l’ancre, à cause de la profondeur de l’abîme. »