Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/337

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pleure point les chrétiens morts pour leur Dieu, comme on pleure les autres hommes. »

Cependant Cymodocée, qui cache un profond dessein dans son cœur, invite son père à se reposer. Elle le contraint par ses prières à se jeter sur un lit. Le vieillard ne pouvoit se résoudre à perdre un moment des yeux sa fille retrouvée ; il croyoit toujours qu’elle alloit lui échapper : ainsi, lorsqu’un homme a été longtemps poursuivi par un songe funeste, au moment de son réveil il voit encore l’image effrayante, et la naissante aurore ne rassure point ses esprits. Cymodocée se plaint de la fatigue qu’elle éprouve ; elle s’incline sur le second lit à l’autre extrémité de la salle, et adresse tout bas cette prière à l’Éternel :

« Dieu inconnu, qui pénètres le fond de mon cœur ; Dieu qui as vu mourir ton Fils unique, si mes desseins te sont agréables, fais descendre vers mon père un de ces esprits qu’on appelle tes anges ; ferme ses yeux appesantis par les larmes, et souviens-toi de lui quand je l’aurai quitté pour toi. »

Elle dit, et sa prière, sur des ailes de flamme, s’envole au sein de l’Éternel. L’Éternel la reçoit dans sa miséricorde, et l’ange du sommeil abandonne aussitôt les voûtes éthérées. Il tient à la main son sceptre d’or qui lui sert à calmer les peines des justes. Il franchit d’abord la région des soleils et s’abaisse vers la terre, où le conduit un long cri de douleur. Descendu sur ce globe, il s’arrête un moment au plus haut sommet des montagnes de l’Arménie ; il cherche des yeux les déserts où furent les campagnes d’Éden ; il se souvient du premier sommeil de l’homme, alors que Dieu tira du côté d’Adam la belle compagne qui devoit perdre et sauver la race humaine. Bientôt il prend son vol vers le mont Liban ; il voit au-dessous de lui les vallées profondes, les torrents blanchis, les cèdres sublimes ; il touche aux plaines innocentes où les patriarches goûtoient ses dons sous un palmier. Il plane ensuite sur les mers de Sidon et de Tyr, et laissant au loin l’exil de Tencer, la tombe d’Aristomène, la Crète chérie des rois, la Sicile aimée des pasteurs, il découvre les bords de l’Italie. Il fend les airs sans bruit et sans agiter ses ailes ; il répand sur son passage la fraîcheur et la rosée ; il paroît : les flots s’assoupissent, les fleurs s’inclinent sur leurs tiges, la colombe cache sa tête sous son aile, et le lion s’endort dans son antre. Les sept collines de la ville éternelle s’offrent enfin aux regards de l’ange consolateur. Il voit avec horreur un million d’idolâtres troubler le calme de la nuit : il les abandonne à leur coupable veille ; il est sourd à la voix de Galérius, mais il ferme en passant les yeux des martyrs ; il vole à la retraite solitaire de Démodocus. Ce père infortuné s’agitoit brûlant sur sa