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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/339

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Livre Vingt-Quatrième.

Adieux à la Muse. Maladie de Galérius. L’amphithéâtre de Vespasien. Eudore est conduit au martyre. Michel plonge Satan dans l’abîme. Cymodocée s’échappe d’auprès de son père, et vient trouver Eudore à l’amphithéâtre. Galérius apprend que Constantin a été proclamé césar. Martyre des deux époux. Triomphe de la religion chrétienne.

Ô Muse, qui daignas me soutenir dans une carrière aussi longue que périlleuse, retourne maintenant aux célestes demeures ! J’aperçois les bornes de la course ; je vais descendre du char, et pour chanter l’hymne des morts je n’ai plus besoin de ton secours. Quel François ignore aujourd’hui les cantiques funèbres ? Qui de nous n’a mené le deuil autour d’un tombeau, n’a fait retentir le cri des funérailles ? C’en est fait, ô Muse, encore un moment, et pour toujours j’abandonne tes autels ! Je ne dirai plus les amours et les songes séduisants des hommes : il faut quitter la lyre avec la jeunesse. Adieu, consolatrice de mes jours, toi qui partageas mes plaisirs et bien souvent mes douleurs ! Puis-je me séparer de toi sans répandre des larmes ! J’étois à peine sorti de l’enfance, tu montas sur mon vaisseau rapide et tu chantas les tempêtes qui déchiroient ma voile ; tu me suivis sous le toit d’écorce du sauvage et tu me fis trouver dans les solitudes américaines les bois du Pinde. À quel bord n’as-tu pas conduit mes rêveries ou mes malheurs ? Porté sur ton aile, j’ai découvert au milieu des nuages les montagnes désolées de Morven, j’ai pénétré les forêts d’Erminsul, j’ai vu couler les flots du Tibre, j’ai salué les oliviers du Céphise et les lauriers de l’Eurotas. Tu me montras les hauts cyprès du Bosphore et les sépulcres déserts du Simoïs. Avec toi je traversai l’Hermus, rival du Pactole ; avec toi j’adorai les eaux du Jourdain et je priai sur la montagne de Sion. Memphis et Carthage nous ont vus méditer sur leurs ruines, et dans les débris des palais de Grenade,