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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/340

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nous évoquâmes les souvenirs de l’honneur et de l’amour. Tu me disois alors :

« Sache apprécier cette gloire dont un obscur et foible voyageur peut parcourir le théâtre en quelques jours. »

Ô Muse, je n’oublierai point tes leçons ! Je ne laisserai point tomber mon cœur des régions élevées où tu l’as placé. Les talents de l’esprit que tu dispenses s’affoiblissent par le cours des ans, la voix perd sa fraîcheur, les doigts se glacent sur le luth ; mais les nobles sentiments que tu inspires peuvent rester quand tes autres dons ont disparu. Fidèle compagne de ma vie, en remontant dans les cieux laisse-moi l’indépendance et la vertu. Qu’elles viennent, ces vierges austères, qu’elles viennent fermer pour moi le livre de la poésie et m’ouvrir les pages de l’histoire. J’ai consacré l’âge des illusions à la riante peinture du mensonge ; j’emploierai l’âge des regrets au tableau sévère de la vérité.

Mais que dis-je ! ne l’ai-je point déjà quitté le doux pays du mensonge ? Ah ! les maux que Galérius a fait souffrir aux chrétiens ne sont pas de vaines fictions !

Il est temps que le ciel venge sur l’oppresseur la cause de l’innocence opprimée. L’ange du sommeil n’a point voulu prêter l’oreille aux prières de Galérius : il l’a laissé en proie à l’ange exterminateur. Le vin de la colère de Dieu, en pénétrant dans les entrailles du persécuteur des fidèles, a fait éclater un mal caché, fruit de l’intempérance et de la débauche. Depuis la ceinture jusqu’à la tête, Galérius n’est plus qu’un squelette recouvert d’une peau livide, enfoncée entre des ossements ; le bas de son corps est enflé comme une outre, et ses pieds n’ont plus de forme. Lorsqu’au bord d’un vivier couvert de roseaux et de glaïeuls un serpent s’est attaché aux flancs d’un taureau, l’animal se débat dans les nœuds du reptile : il frappe l’air de sa corne ; mais bientôt, dompté par le venin, il tombe et se roule en mugissant : ainsi s’agite et rugit Galérius. La gangrène dévore ses intestins. Pour attirer au dehors les vers qui rongent ce maître du monde, on livre à ses plaies affamées des animaux nouvellement égorgés. On invoque Apollon, Esculape, Hygie : vaines idoles, qui ne peuvent se défendre elles-mêmes des vers qui leur percent le cœur ! Galérius fait trancher la tête aux médecins qui ne trouvent point de remèdes à ses souffrances.

« Prince, lui dit l’un d’entre eux, élevé secrètement dans la foi des chrétiens, cette maladie est au-dessus de notre art : il faut remonter plus haut. Souvenez-vous de ce que vous avez fait contre les serviteurs de Dieu, et vous saurez à qui vous devez avoir recours. Je suis prêt à