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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/341

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mourir comme mes frères, mais les médecins ne vous guériront pas. » Cette franchise plonge Galérius dans des transports de rage. Il ne peut se résoudre à reconnoître l’impiété de ce titre d’Éternel dont il a surchargé une vie d’un moment. Sa fureur contre les chrétiens redouble : loin de vouloir suspendre leurs supplices, il confirme sa première sentence, et n’attend lui-même que le jour pour montrer à l’amphithéâtre le spectacle d’un prince mourant qui vient voir mourir ses sujets.

Son impatience ne fut pas longtemps éprouvée : déjà les flots jaunissants du Tibre, les coteaux d’Albe, les bois de Lucrétile et de Tibur, sourioient aux feux naissants de l’aurore. La rosée brilloit suspendue aux plantes comme une manne : la campagne romaine se montroit tout éclatante de la fraîcheur, et pour ainsi dire de la jeunesse de la lumière. Les monts lointains de la babine, qu’enveloppoit une vapeur diaphane, se peignoient de la couleur du fruit du prunier, quand sa pourpre violette est légèrement blanchie par sa fleur. On voyoit la fumée s’élever des hameaux, les brouillards fuir le long des collines, et la cime des arbres se découvrir : jamais plus beau jour n’étoit sorti de l’Orient pour contempler les crimes des hommes. Ô soleil ! sur le trône élevé d’où tu jettes un regard ici-bas, que te font nos larmes et nos malheurs ? Ton levant et ton coucher ne peuvent être troublés par le souffle de nos misères ; tu éclaires des mêmes rayons le crime et la vertu ; les générations passent, et tu poursuis ta course !

Cependant le peuple s’assembloit à l’amphithéâtre de Vespasien : Rome entière étoit accourue pour boire le sang des martyrs. Cent mille spectateurs, les uns voilés d’un pan de leur robe, les autres portant sur la tête une ombelle étoient répandus sur les gradins. La foule, vomie par les portiques, descendoit et montoit le long des escaliers extérieurs, et prenoit son rang sur les marches revêtues de marbre. Des grilles d’or défendoient le banc des sénateurs de l’attaque des bêtes féroces. Pour rafraîchir l’air, des machines ingénieuses faisoient monter des sources de vin et d’eau safranée, qui retomboient en rosée odoriférante. Trois mille statues de bronze, une multitude infinie de tableaux, des colonnes de jaspe et de porphyre, des balustres de cristal, des vases d’un travail précieux, décoroient la scène. Dans un canal creusé autour de l’arène nageoient un hippopotame et des crocodiles ; cinq cents lions, quarante éléphants, des tigres, des panthères, des taureaux, des ours accoutumés à déchirer des hommes, rugissoient dans les cavernes de l’amphithéâtre. Des gladiateurs non moins féroces envoyoient çà et là leurs bras ensanglantés. Auprès des antres du trépas s’élevoient des lieux de prostitution publique : des courtisanes