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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/342

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nues et des femmes romaines du premier rang augmentoient, comme aux jours de Néron, l’horreur du spectacle, et venoient, rivales de la mort, se disputer les faveurs d’un prince mourant. Ajoutez les derniers hurlements des Ménades couchées dans les rues et expirant sous l’effort de leur dieu, et vous connoîtrez toutes les pompes et tout le déshonneur de l’esclavage.

Les prétoriens chargés de conduire les confesseurs au martyre assiégeoient déjà les portes de la prison de Saint-Pierre. Eudore, selon les ordres de Galérius, devoit être séparé de ses frères et choisi pour combattre le premier : ainsi, dans une troupe valeureuse, on cherche à terrasser d’abord le héros qui la guide. Le gardien de la prison s’avance à la porte du cachot, et appelle le fils de Lasthénès.

« Me voici, dit Eudore ; que voulez-vous ? »

« Sors pour mourir, » s’écria le gardien.

« Pour vivre, » répondit Eudore.

Et il se lève de la pierre où il étoit couché. Cyrille, Gervais, Protais, Rogatien et son frère Victor, Genès, Perséus, l’ermite du Vésuve, ne peuvent retenir leurs larmes.

« Confesseurs, leur dit Eudore, nous allons bientôt nous retrouver. Un instant séparés sur la terre, nous nous rejoindrons dans le ciel. »

Eudore avoit réservé pour ce dernier moment une tunique blanche, destinée jadis à sa pompe nuptiale ; il ajoute à cette tunique un manteau brodé par sa mère : il paroît plus beau qu’un chasseur d’Arcadie qui va disputer le prix des combats de l’arc ou de la lyre, dans les champs de Mantinée.

Le peuple et les prétoriens, impatients, appellent le fils de Lasthénès à grands cris.

« Allons ! » dit le martyr.

Et surmontant les douleurs du corps par la force de l’âme, il franchit le seuil du cachot. Cyrille s’écrie :

« Fils de la femme, on vous a donné un front de diamant : ne les craignez point, et n’ayez pas de peur devant eux. »

Les évêques entonnent le cantique des louanges, nouvellement composé à Carthage par Augustin, ami d’Eudore :

« Ô Dieu, nous te louons ! ô Dieu, nous te bénissons ! Les cieux, les anges, les trônes, les chérubins, te proclament trois fois saint… Seigneur, Dieu des armées ! »

Les évêques chantoient encore l’hymne de la victoire, et Eudore, sorti de la prison, jouissoit déjà de son triomphe : il étoit livré aux outrages. Le centurion de la garde le poussa rudement, et lui dit :

« Tu te fais bien attendre. »