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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/344

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Ces paroles frappèrent le soldat, et quelques jours après il embrassa la religion chrétienne.

Eudore parvint ainsi jusqu’à l’amphithéâtre comme un noble coursier percé d’un javelot sur le champ de bataille s’avance encore au combat sans paroître sentir sa blessure mortelle.

Mais tous ceux qui pressoient le confesseur n’étoient pas des ennemis : un grand nombre étoient des fidèles, qui cherchoient à toucher le vêtement du martyr, des vieillards qui recueilloient ses paroles, des prêtres qui lui donnoient l’absolution du milieu de la foule, des jeunes gens, des femmes qui crioient :

« Nous demandons à mourir avec lui. »

Le confesseur calmoit d’un mot, d’un geste, d’un regard, ces élans de la vertu, et ne paroissoit occupé que du péril de ses frères. L’enfer l’attendoit à la porte de l’arène pour lui livrer un dernier assaut. Les gladiateurs, selon l’usage, voulurent revêtir le chrétien d’une robe des prêtres de Saturne.

« Je ne mourrai point, s’écrie Eudore, dans le déguisement d’un lâche déserteur et sous les couleurs de l’idolâtrie : je déchirerai plutôt de mes mains l’appareil de mes blessures. J’appartiens au peuple romain et à César : si vous les privez par ma mort du combat que je leur dois, vous en répondrez sur votre tête. »

Intimidés par cette menace, les gladiateurs ouvrirent les portes de l’amphithéâtre, et le martyr entra seul et triomphant dans l’arène.

Aussitôt un cri universel, des applaudissements furieux, prolongés depuis le faîte jusqu’à la base de l’édifice, en font mugir les échos. Les lions et toutes les bêtes renfermées dans les cavernes répondent dignement aux éclats de cette joie féroce : le peuple lui-même tremble d’épouvante ; le martyr seul n’est point effrayé. Tout à coup il se souvient du pressentiment qu’il eut jadis dans ce même lieu. Il rougit de ses erreurs passées ; il remercie Dieu, qui l’a reçu dans sa miséricorde, et l’a conduit, par un merveilleux conseil, à une fin si glorieuse. Il songe avec attendrissement à son père, à ses sœurs, à sa patrie ; il recommande à l’Éternel Démodocus et Cymodocée : ce fut sa dernière pensée de la terre, il tourne son esprit et son cœur uniquement vers le ciel.

L’empereur n’étoit point encore arrivé et l’intendant des jeux n’avoit pas donné le signal. Le martyr blessé demande au peuple la permission de s’asseoir sur l’arène, afin de mieux conserver ses forces ; le peuple y consent, dans l’espoir de voir un plus long combat. Le jeune homme, enveloppé de son manteau, s’incline sur le sable qui va