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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/345

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boire son sang, comme un pasteur se couche sur la mousse au fond d’un bois solitaire.

Cependant, dans les profondeurs de l’éternité, une plus vive lumière sortoit du Saint des saints. Les anges, les trônes, les dominations, prosternés, entendoient, saisis de joie, une voix qui disoit :

« Paix à l’Église ! Paix aux hommes ! »

L’hostie étoit acceptée : la dernière goutte du sang du juste alloit faire triompher cette religion qui devoit changer la face de la terre. La cohorte des martyrs s’ébranle : les divins guerriers s’assemblent au bruit d’une trompette sonnée par l’ange des armées du Seigneur. Là brille Étienne, le premier des confesseurs ; là se montrent l’intrépide Laurent, l’éloquent Cyprien, et vous, honneur de cette pieuse et fidèle cité que le Rhône ravage et que la Saône caresse. Tous portés sur une nuée lumineuse, ils descendent pour recevoir l’heureux soldat à qui la grande victoire est réservée. Les cieux s’abaissent et s’entr’ouvrent. Les chœurs des patriarches, des prophètes, des apôtres, des anges, viennent admirer le combat du juste. Les saintes femmes, les veuves, les vierges, environnent et félicitent la mère d’Eudore, qui seule détourne ses yeux de la terre et les tient attachés sur le trône de Dieu.

Alors Michel arme sa droite de ce glaive qui marche devant le Seigneur et qui frappe des coups inattendus ; il prend dans sa main gauche une chaîne forgée au feu des éclairs, dans les arsenaux de la colère céleste. Cent archanges en formèrent les anneaux indestructibles, sous la direction d’un ardent chérubin ; par un travail admirable, l’airain fondu avec l’argent et l’or se façonna sous leurs marteaux pesants ; ils y mêlèrent trois rayons de la vengeance éternelle ; le désespoir, la terreur, la malédiction, un carreau de la foudre, et cette matière vivante qui composoit les roues du char d’Ézéchiel. Au signal du Dieu fort, Michel s’élance des cieux comme une comète. Les astres effrayés croient toucher à la borne de leur cours. L’archange met un pied sur la mer et l’autre sur la terre. Il crie d’une voix terrible, et sept tonnerres parlent avec lui :

« Le règne du Christ est établi ; l’idolâtrie est passée ; la mort ne sera plus. Race perverse, délivrez le monde de votre présence ; et toi, Satan, rentre dans le puits de l’abîme où tu seras enchaîné pour mille ans. »

À ces accents formidables, les anges rebelles sont saisis d’épouvante. Le prince des enfers veut résister encore et combattre l’envoyé du Très-Haut : il appelle à lui Astarté et les démons de la fausse sagesse et de l’homicide : mais déjà précipités dans l’asile des dou-