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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/346

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leurs, ils sont punis par de nouveaux tourments des maux qu’ils viennent de faire aux hommes. Satan, demeuré seul, essaye en vain de résister au guerrier céleste : la force lui est subitement ôtée ; il sent que son sceptre est brisé et sa puissance détruite. Précédé de ses légions éperdues, il se plonge avec un affreux rugissement dans le puits de l’abîme. Les chaînes vivantes tombent avec lui, l’embrassent et le lient sur un rocher enflammé au centre de l’enfer.

Le fils de Lasthénès entend dans les airs des concerts ineffables, et les sons lointains de mille harpes d’or, mêlés à des voix mélodieuses. Il lève la tête, et voit l’armée des martyrs renversant dans Rome les autels des faux dieux et sapant les fondements de leurs temples parmi des tourbillons de poussière. Une échelle merveilleuse descend d’une nue jusqu’aux pieds d’Eudore. Cette échelle étoit de jaspe, d’hyacinthe, de saphirs et d’émeraudes, comme les fondements de la Jérusalem céleste. Le martyr contemple la vision de splendeur, et appelle par ses soupirs l’instant où il pourra suivre ce chemin du ciel.

Et pourtant ce n’est pas là toute la gloire que le Dieu de Jacob réserve à son peuple. Il entretient encore dans le cœur d’une foible femme les plus nobles et les plus généreux desseins. Quand l’alouette matinale attend sur des guérets nouveaux le retour de la lumière, aussitôt que le jour naissant a blanchi les bords des nuages, elle quitte la terre, et fait entendre en montant dans les airs un hymne qui charme le voyageur : ainsi la vigilante Cymodocée veille attentivement à la première clarté de l’aube, pour aller chanter dans le ciel des cantiques qui raviront Israël. Un rayon de l’aurore parvient jusqu’à la jeune chrétienne, à travers le laurier de Virgile. Aussitôt elle se lève en silence et reprend le vêtement du martyre, qu’elle avoit eu soin de garder. Le prêtre d’Homère goûtoit encore le sommeil que l’ange avoit répandu sur ses yeux. Cymodocée s’approche doucement, et se met à genoux au bord du lit de Démodocus. Elle contemple son père en versant des larmes muettes ; elle écoute la respiration paisible du vieillard ; elle songe à son affreux réveil ; elle peut à peine étouffer les sanglots de la piété filiale. Soudain elle rappelle son courage, ou plutôt son amour et sa foi : elle s’échappe furtivement, comme la nouvelle épouse à Sparte se déroboit aux regards de sa mère pour aller jouir des embrassements de son époux.

Dorothée n’avoit point passé la nuit dans la maison de Virgile : les chrétiens ne s’endormoient point ainsi la veille de la mort de leurs frères ; accompagné de tous ses serviteurs, il s’étoit rendu à l’amphithéâtre avec Zacharie. Déguisés, au milieu de la foule, ils attendoient le combat du martyr, afin de dérober ensuite le corps glorieux et de