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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/347

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lui donner la sépulture : ainsi une troupe de colombes près d’une ferme où l’on bat le blé nouveau attend que les moissonneurs se soient retirés, pour cueillir le grain resté sur l’aire.

Cymodocée ne rencontre donc point d’obstacles à sa fuite. Qui auroit pu deviner ses desseins ? Elle descend sous le péristyle, et, ouvrant la porte extérieure, elle s’élance dans cette Rome qui lui étoit inconnue.

Elle erre d’abord par des rues désertes : tout le peuple s’étoit porté vers l’amphithéâtre. Elle ne sait où tourner ses pas ; elle s’arrête et prête une oreille attentive, comme une sentinelle qui cherche à surprendre le bruit de l’ennemi. Il lui semble entendre un murmure lointain ; elle court aussitôt de ce côté : plus elle approche, plus s’accroît le murmure. Bientôt elle aperçoit une longue file de soldats, d’esclaves, de femmes, d’enfants, de vieillards qui suivoient tous le même chemin ; elle voit passer des litières, voler des chars et des cavaliers. Mille accents, mille voix s’élèvent, et dans cette rumeur confuse Cymodocée distingue ce cri répété :

« Les chrétiens aux bêtes ! »

« Me voici ! » dit-elle avant qu’on pût l’entendre.

Et elle s’avançoit sur une hauteur qui dominoit la foule répandue autour de l’amphithéâtre. Cymodocée descendant de la colline au lever de l’aurore parut comme cette étoile du matin que la nuit prête un moment au jour. La Grèce, à genoux, l’eût prise pour l’amante de Zéphyre ou de Céphale ; Rome reconnut à l’instant une chrétienne : sa robe d’azur, son voile blanc, son manteau noir, la trahirent encore moins que sa modestie.

« C’est une chrétienne échappée ! s’écria la foule : arrêtons-la. »

« Oui, répondit Cymodocée en rougissant devant cette multitude, je suis chrétienne, mais je ne suis point échappée ; je ne suis qu’égarée. J’ai pu me tromper de chemin, moi qui suis jeune et née loin d’ici sur le rivage de la Grèce, ma douce patrie. Puissants enfants de Romulus, voulez-vous me conduire à l’amphithéâtre ? »

Ce langage, qui auroit désarmé des tigres, n’attira sur Gymodocée que des railleries et des outrages. Elle étoit tombée dans un groupe d’hommes et de femmes chancelant sous les fumées du vin. Une voix voulut dire que cette Grecque n’étoit peut-être pas condamnée aux bêtes.

« Je le suis, répondit la jeune chrétienne avec timidité : on m’attend à l’amphithéâtre. »

La troupe aussitôt l’y conduit en poussant des hurlements. Le gladiateur commis à l’introduction des martyrs n’avoit point d’ordre pour