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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/349

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de la gloire de Dieu ; il tire de son doigt un anneau, et le trempant dans le sang de ses blessures :

« Je ne m’oppose plus à vos desseins, dit-il à Cymodocée : je ne puis vouloir vous ravir plus longtemps une couronne que vous recherchez avec tant de courage. Si j’en crois la voix secrète qui parle à mon cœur, votre mission sur cette terre est finie : votre père n’a plus besoin de vos secours ; Dieu s’est chargé du soin de ce vieillard : il va connoître la vraie lumière et bientôt il rejoindra ses enfants dans ces demeures où rien ne pourra plus les lui ravir. Ô Cymodocée ! je vous l’avois prédit, nous serons unis ; il faut que nous mourions époux. C’est ici l’autel, l’église, le lit nuptial. Voyez cette pompe qui nous environne, ces parfums qui tombent sur nos têtes. Levez les yeux, et contemplez au ciel avec les regards de la foi cette pompe bien autrement belle. Rendons légitimes les embrassements éternels qui vont suivre notre martyre : prenez cet anneau et devenez mon épouse. »

Le couple angélique tombe à genoux au milieu de l’arène ; Eudore met l’anneau trempé de son sang au doigt de Cymodocée.

« Servante de Jésus-Christ, s’écrie-t-il, recevez ma foi. Vous êtes aimable comme Rachel, sage comme Rebecca, fidèle comme Sara, sans avoir eu sa longue vie. Croissons, multiplions pour l’éternité, remplissons le ciel de nos vertus. »

À l’instant le ciel, ouvert, célèbre ces noces sublimes : les anges entonnent le cantique de l’épouse ; la mère d’Eudore présente à Dieu ses enfants unis, qui vont bientôt paroître au pied du trône éternel ; les vierges martyres tressent la couronne nuptiale de Cymodocée ; Jésus-Christ bénit le couple bienheureux, et l’Esprit-Saint lui fait don d’un intarissable amour.

Cependant la foule, qui voyoit les deux chrétiens à genoux, croyoît qu’ils lui demandoient la vie. Tournant aussitôt le pouce vers eux, comme dans les combats de gladiateurs, elle repoussoit leur prière par ce signe et les condamnoit à mort ! Le peuple romain, que ses nobles privilèges avoient fait surnommer le peuple-roi, avoit depuis longtemps perdu son indépendance : il n’étoit resté le maître absolu que dans la direction de ses plaisirs ; et comme on se servoit de ces mêmes plaisirs pour l’enchaîner et le corrompre, il ne possédoit en effet que la souveraineté de son esclavage. Le gladiateur des portiques vint dans ce moment recevoir les ordres du peuple sur le sort de Cymodocée.

« Peuple libre et puissant, dit-il, cette chrétienne est entrée hors de son rang dans l’arène ; elle étoit condamnée à mourir avec le reste des impies, après le combat de leur chef ; elle s’est échappée de la prison.