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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/350

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Égarée dans Rome, son mauvais génie, ou plutôt le génie de l’empire, l’a ramenée à l’amphithéâtre. »

Le peuple cria d’une commune voix :

« Les dieux l’ont voulu : qu’elle reste et qu’elle meure ! »

Un petit nombre, intérieurement travaillé par le Dieu des miséricordes, paroissoit touché de la jeunesse de Cymodocée : il vouloit que l’on fît grâce à cette chrétienne ; mais la foule répétoit :

« Qu’elle reste et qu’elle meure ! Plus la victime est belle, plus elle est agréable aux dieux. »

Ce n’étoient plus ces enfants de Brutus, qui maudissoient le grand Pompée pour avoir fait combattre de paisibles éléphants ; c’étoient des hommes abrutis par la servitude, aveuglés par l’idolâtrie, et chez qui toute humanité s’étoit éteinte avec le sentiment de la liberté.

Une voix s’échappe des combles de l’amphithéâtre. C’en est fait : Dorothée renonce à la vie.

« Romains, s’écrie-t-il, c’est moi qui ai tout fait, c’est moi qui cette nuit même avois enlevé cet ange du ciel qui vient se remettre entre vos mains. Je suis chrétien, je demande le combat. Puisse l’infâme Jupiter tomber bientôt avec son temple ! Puisse-t-il écraser dans sa chute ses horribles adorateurs ! Puisse l’éternité allumer ses flammes vengeresses pour engloutir des barbares qui restent insensibles à tous les charmes du malheur, de la jeunesse et de la vertu ! »

En prononçant ces paroles, Dorothée renverse une statue de Mercure. Aussitôt l’attention et l’indignation du peuple se tournent de ce côté.

« Un chrétien dans l’amphithéâtre ! Qu’on le saisisse ; qu’on le livre aux gladiateurs ! »

Dorothée est entraîné hors de l’édifice, et condamné à périr avec la foule des confesseurs.

Tout à coup retentit le bruit des armes : le pont qui conduisoit du palais de l’empereur à l’amphithéâtre s’abaisse, et Galérius ne fait qu’un pas de son lit de douleur au carnage : il avoit surmonté son mal, pour se présenter une dernière fois au peuple. Il sentoit à la fois l’empire et la vie lui échapper : un messager arrivé des Gaules venoit de lui apprendre la mort de Constance. Constantin, proclamé césar par les légions, s’étoit en même temps déclaré chrétien, et se disposoit à marcher vers Rome. Ces nouvelles, en portant le trouble dans l’âme de Galérius, avoient rendu plus cuisante la plaie hideuse de son corps ; mais, renfermant ses douleurs dans son sein, soit qu’il cherchât à se tromper lui-même, soit qu’il voulût tromper les hommes, ce spectre vint s’asseoir au balcon impérial, comme la mort couronnée. Quel