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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/38

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Cependant un vent frais se leva du côté de l’orient. L’aurore ne tarda pas à paroître. Bientôt sortant des montagnes de la Laconie, sans nuage et dans une simplicité magnifique, le soleil, agile et rayonnant, monta dans les cieux. À l’instant même, s’élançant d’un bois voisin, Euryméduse, les bras ouverts, se précipite vers Cymodocée.

« Ô ma fille ! s’écrie-t-elle, quelle douleur tu m’as causée ! J’ai rempli l’air de mes sanglots. J’ai cru que Pan t’avoit enlevée. Ce dieu dangereux est toujours errant dans les forêts ; et quand il a dansé avec le vieux Silène, rien ne peut égaler son audace. Comment aurois-je pu reparoître sans toi devant mon cher maître ? Hélas ! j’étois encore dans ma première jeunesse lorsque, me jouant sur le rivage de Naxos, ma patrie, je fus tout à coup enlevée par une troupe de ces hommes qui parcourent l’empire de Thétis à main armée et qui font un riche butin ! Ils me vendirent à un port de Crète, éloigné de Gortynes 45 de tout l’espace qu’un homme en marchant avec vitesse peut parcourir entre la troisième veille et le milieu du jour. Ton père étoit venu à Lébène pour échanger des blés de Théodosie contre les tapis de Milet. Il m’acheta des mains des pirates : le prix fut deux taureaux qui n’avoient pas encore tracé les sillons de Cérès. Dans la nuit, ayant reconnu ma fidélité, il me plaça aux portes de sa chambre nuptiale. Lorsque les cruelles Ilithyes 46 eurent fermé les yeux d’Épicharis, Démodocus te remit entre mes bras afin que je te servisse de mère. Que de peines ne m’as-tu point causées dans ton enfance ! Je passois les nuits auprès de ton berceau, je te balançois sur mes genoux ; tu ne voulois prendre de nourriture que de ma main 47, et quand je te quittois un instant, tu poussois des cris. »

En prononçant ces mots, Euryméduse serroit Cymodocée dans ses bras, et ses larmes mouilloient la terre. Cymodocée, attendrie par les caresses de sa nourrice, l’embrassoit aussi en pleurant ; et elle disoit :

« Ma mère, c’est Eudore, le fils de Lasthénès. »

Le jeune homme, appuyé sur sa lance, regardoit cette scène avec un sourire ; le sérieux naturel de son visage avoit fait place à un doux attendrissement. Mais tout à coup, rappelant sa gravité :

« Fille de Démodocus, dit-il, voilà votre nourrice ; l’habitation de votre père n’est pas éloignée. Que Dieu ait pitié de votre âme ! »

Sans attendre la réponse de Cymodocée, il part comme un aigle 48. La prêtresse des Muses, instruite dans l’art des augures, ne douta plus que le chasseur ne fût un des immortels : elle détourna la tête, dans la crainte de voir le dieu et de mourir 49. Ensuite elle se hâta de gravir le mont Ithome, et passant les fontaines d’Arsinoé et de Clepsydra 50, elle frappe au temple d’Homère. Le vieux pontife avoit erré toute la