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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/402

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certain Cnopion, accoutumé à gagner sa vie à ces sortes de fonctions funèbres, prit le corps pour quelques pièces d’argent qu’on lui donna, le porta au delà des terres d’Éleusine ; et, ayant pris du feu sur celles de Mégare, il lui dressa un bûcher et le brûla. Une dame de Mégare, qui assista par hasard à ces funérailles, avec ses servantes, lui éleva dans le même endroit un tombeau vide, sur lequel elle fit les effusions accoutumées ; et mettant dans sa robe les os qu’elle recueillit avec grand soin, elle les porta la nuit dans sa maison, et les enterra sous son foyer, en lui adressant ces paroles : Mon cher foyer, je te confie et je mets en dépôt dans ton sein ces précieux restes d’un homme de bien : conserve-les fidèlement pour les rendre un jour au tombeau de ses ancêtres, quand les Athéniens seront devenus plus sages. » (Plut., Vie de Phocion.)


18e. — page 56.

Notre patrie expirante, pour ne point démentir son ingratitude, fit boire le poison au dernier de ses grands hommes. Le jeune Polybe, au milieu d’une pompe attendrissante, transporta de Messène à Mégalopolis la dépouille de Philopœmen.

« Quand l’exécuteur descendit dans le caveau, Philopœmen étoit couché sur son manteau, sans dormir, et tout occupé de sa douleur et de sa tristesse. Dès qu’il vit de la lumière et cet homme près de lui, tenant sa lampe d’une main et la coupe de poison de l’autre, il se releva avec peine, à cause de sa grande foiblesse, se mit en son séant, et, prenant la coupe, il demanda à l’exécuteur s’il n’avoit rien entendu dire de ses cavaliers, et surtout de Lycortas. L’exécuteur lui dit qu’il avoit ouï dire qu’ils s’étoient presque tous sauvés. Philopœmen le remercia d’un signe de tête, et, le regardant avec douleur : Tu me donnes là une bonne nouvelle, lui dit-il : nous ne sommes donc pas malheureux en tout. Et sans dire une seule parole de plus, sans jeter le moindre soupir, il but le poison, et se recoucha sur son manteau… »

Les Arcadiens vengèrent la mort de Philopœmen, et transportèrent les cendres de ce grand homme à Mégalopolis.

« Après qu’on eut brûlé le corps de Philopœmen, qu’on eut ramassé ses cendres et qu’on les eut mises dans une urne, on se mit en marche pour Mégalopolis. Cette marche ne se fit point turbulemment, ni pêle-mêle, mais avec une belle ordonnance, et en mêlant à ce convoi funèbre une sorte de pompe triomphale. On voyoit d’abord les gens de pied, la tête ceinte de couronnes, et tous fondant en larmes. Après cette infanterie suivoient les ennemis chargés de chaînes. Le fils du général, le jeune Polybe, marchoit ensuite, portant dans ses mains l’urne qui renfermoit les cendres, mais qui étoit si couverte de bandelettes et de couronnes, qu’elle ne paroissoit presque point. Autour de Polybe marchoient les plus nobles et les plus considérables des Achéens. L’urne étoit suivie de toute la cavalerie, magnifiquement armée et montée superbement, qui fermoit la marche, sans donner ni de grandes marques d’abattement pour un si grand deuil, ni de grands signes de joie