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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/41

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d’apaiser les dieux lares. Cymodocée se retire dans son appartement, et après avoir joui des délices du bain, elle se couche sur des tapis de Lydie, recouverts du fin lin de l’Égypte ; mais elle ne put goûter les dons du sommeil, et ce fut en vain qu’elle pria la Nuit de lui verser la douceur de ses ombres 64.

L’aube avoit à peine blanchi l’orient, qu’on entendit retentir la voix de Démodocus : il appeloit ses intelligents esclaves. Aussitôt Évemon, fils de Boétoüs, ouvre le lieu qui renfermoit l’appareil des chars. Il emboîte l’essieu dans des roues bruyantes 65 à huit rayons fortifiés par des bandes d’airain ; il suspend un char orné d’ivoire sur des courroies flexibles ; il joint le timon au char, et attache à son extrémité le joug éclatant. Hestionée d’Épire, habile à élever les coursiers, amène deux fortes mules d’une blancheur éblouissante ; il les conduit bondissantes sous le joug, et achève de les couvrir de leurs harnois étincelants d’or. Euryméduse, pleine de jours et d’expérience, apporte le pain et le vin, la force de l’homme ; elle place aussi sur le char le présent destiné au fils de Lasthénès : c’étoit une coupe de bronze à double fond 66, merveilleux ouvrage où Vulcain avoit gravé le nom d’Hercule délivrant Alceste pour prix de l’hospitalité qu’il avoit reçue de son époux. Ajax avoit donné cette coupe à Tychius d’Hylé, armurier célèbre, en échange du bouclier recouvert de sept peaux de taureaux que le fils de Télamon portoit au siège de Troie. Un descendant de Tychius recueillit chez lui le chantre d’Ilion, et lui fit présent de la superbe coupe. Homère, étant allé dans l’île de Samos, fut admis aux foyers de Créophyle, et il lui laissa en mourant sa coupe et ses poëmes. Dans la suite, le roi Lycurgue de Sparte, cherchant partout la sagesse, visita les fils de Créophyle : ceux-ci lui offrirent, avec la coupe d’Homère, les vers qu’Apollon avoit dictés à ce poëte immortel. À la mort de Lycurgue, le monde hérita des chants d’Homère, mais la coupe fut rendue aux Homérides : elle parvint ainsi à Démodocus, dernier descendant de cette race sacrée, qui la destine aujourd’hui au fils de Lasthénès.

Cependant Cymodocée, dans un chaste asile, laisse couler à ses pieds son vêtement de nuit, mystérieux ouvrage de la pudeur. Elle revêt une robe semblable à la fleur du lis, que les Grâces décentes 67 attachent elles-mêmes autour de son sein. Elle croise sur ses pieds nus des bandelettes légères, et rassemble sur sa tête, avec une aiguille d’or, les tresses parfumées de ses cheveux. Sa nourrice lui apporte le voile blanc des Muses, qui brilloit comme le soleil, et qui étoit placé sous tous les autres dans une cassette odorante 68. Cymodocée couvre sa tête de ce tissu virginal, et sort pour aller trouver son père. Dans